AttribuĂ© par les bibliothĂ©caires CBPT de la rĂ©gion Nord-Flandres, le Prix Lire-Ălire a rĂ©compensĂ©, fin 2023, Pascale Robert-Diard pour son roman La petite menteuse. N’ayant pu ĂȘtre prĂ©sente lors de la remise du prix, l’auteure a envoyĂ© un message de remerciement et rĂ©pondu Ă quelques questions.
Aux lectrices et aux lecteurs de Lire Ălire
Bonjour Ă toutes et tous,
Dâabord, une confidence. Ă cette heure, soyez sĂ»rs que je prĂ©fĂ©rerais ĂȘtre parmi vous, plutĂŽt que devant la cour dâappel de Paris, assise sur un banc inconfortable, mon carnet sur les genoux, tandis que Nicolas Sarkozy et consorts assurent avoir tout ignorĂ©, mais vraiment tout ignorĂ©, du dĂ©passement de 22 millions dâeuros du plafond des dĂ©penses de la campagne prĂ©sidentielle de 2012.
Ainsi va la vie des chroniqueurs judiciaires : on passe des pauvres mots des pauvres gens Ă la comparution dâun ex-prĂ©sident de la RĂ©publique.
Jâaurais surtout voulu vous dire de vive voix combien je suis fiĂšre et touchĂ©e que vous ayez lu, et Ă©lu, ma Petite menteuse !
La candidate, Lisa, aurait pu vous dĂ©plaire. Comme lâun des personnages du roman, je me suis souvent demandĂ©, en Ă©crivant, si « câĂ©tait le moment » de raconter lâhistoire dâune jeune fille prisonniĂšre dâun mensonge aux lourdes consĂ©quences pour celui quâelle a accusĂ©.
Cette question, lĂ©gitime, je sais que vous vous lâĂȘtes posĂ©e. Que vous aussi, vous vous ĂȘtes demandĂ© si, Ă lâheure oĂč enfin la parole des femmes se libĂšre, celle dâune petite menteuse est bienvenue. Si mĂȘme on a envie de la lire.
Lâaccueil que vous lui avez rĂ©servĂ© nâen est que plus prĂ©cieux Ă mes yeux.
Le roman est-il nourri de votre propre expérience de chroniqueuse judiciaire ?
Pour parler de ce roman et des raisons qui mâont conduite Ă emprunter la voie de la fiction, il faut dâabord que je vous dise quelques mots de mon mĂ©tier.
Depuis plus de vingt ans, je passe ma vie dans les salles dâaudience des tribunaux correctionnels et des cours dâassises. Avec le temps, jâai une sacrĂ©e collection de passions humaines et des extrĂ©mitĂ©s auxquelles elles peuvent pousser.
Mais jâai surtout appris Ă me mĂ©fier de mes a priori. Dans un procĂšs, on ne juge pas « une cause », on juge un ĂȘtre, la singularitĂ© dâun ĂȘtre. Et croyez-moi, cela rend humble.
Alors oui, une adolescente peut mentir. Parce que la violence du collĂšge lui est insupportable. Parce que les garçons la rĂ©duisent Ă son physique. Parce quâelle a eu trop vite, trop tĂŽt, une mauvaise rĂ©putation et quâelle ne sait pas comment en sortir.
Des histoires comme celle de Lisa, jâen ai croisĂ©es dans mon expĂ©rience de chroniqueuse judiciaire.
Pourquoi avoir choisi le roman comme forme littéraire ?
Mais la fiction me permettait deux choses : dâune part, construire un personnage de jeune femme, Ă lâaube de sa vie dâadulte, forte, courageuse, capable justement de faire face au rejet et Ă la colĂšre que la rĂ©vĂ©lation de son mensonge allait susciter.
Capable aussi de retourner la question aux adultes et Ă la justice.
Dâautre part, la fiction mâouvrait le droit Ă me glisser dans la peau dâune avocate, Ă ĂȘtre traversĂ©e par ses doutes, Ă entrer dans le huis clos dâun cabinet, Ă assister aux coulisses dâune dĂ©fense, moi qui nâen connais que la face publique, celle de lâaudience.
Et aussi, parce que câest ce que jâadmire le plus chez les avocats, dâĂȘtre celle qui oblige les juges â et au-delĂ dâeux les lecteurs – Ă penser contre eux-mĂȘmes.
Vous ĂȘtes parfois sĂ©vĂšre avec le monde de la justice. Quel est votre regard ?
Sâil y a bien, en effet, une chose que jâaime dans les procĂšs, câest ce moment oĂč mes propres certitudes vacillent.
OĂč lâon me conduit Ă regarder autrement, Ă mâinterroger, Ă ne pas cĂ©der Ă la premiĂšre mauvaise impression et donc Ă approcher la complexitĂ© de chaque ĂȘtre avant de le juger.
En vous Ă©crivant ces quelques mots, je suis encore plus triste de ne pas ĂȘtre parmi vous ce soir pour vous raconter des histoires et rĂ©pondre Ă vos questions.
Quelles sont vos inspirations littéraires ?
Mais comme il est question de Lire, Ălire, jâai envie de partager avec vous les lectures qui mâaccompagnent :
Simenon, bien sĂ»r, pour son regard si humain sur les ĂȘtres qui « franchissent la ligne »
Ian Mc Ewan, dont le roman Expiation ne mâa pas quittĂ©e pendant lâĂ©criture de La petite menteuse, et dont jâai tant aimĂ© LâintĂ©rĂȘt de lâenfant
Tanguy Viel, pour Article 343 du code pĂ©nal et La fille quâon appelle.
Cliquer sur les deux derniÚres couvertures pour lire les critiques publiées sur le site Les-Notes.fr
Ă chacune et Ă chacun de vous, jâai aussi envie de dire : les procĂšs sont publics, prenez le temps de pousser un jour la porte dâune salle dâaudience !
De tout cĆur, je vous remercie.
Pascale Robert-Diard