Libérés du joug de la hiérarchie taylorienne, les travailleurs sont désormais davantage autonomes et reconnus. Mais les marchés ouverts dictent des objectifs plus contraignants, la mise en compétition des individus et la peur du chômage disloquent les réseaux de solidarité. Aussi la tension est-elle permanente dans les entreprises, et l’espace privé se réduit-il. L’habileté des managers est de marteler que l’épanouissement personnel passe par la réussite professionnelle, laquelle exige confiance en soi et implication au travail. En fait, les salariés servent surtout les intérêts d’une minorité cynique qui les rend responsables des échecs, tous les projets n’étant pas en réalité possibles et compatibles. Le discours politique, les chartes d’éthique, le coaching recèlent les mêmes hypocrisies.
La critique d’une société ultralibérale et individualiste n’est pas nouvelle. Mais, comme les précédents (La pornographie ou l’épuisement du désir, NB janvier 2004), l’ouvrage de Michela Marzano est remarquable de par sa clarté et sa réflexion philosophique. Son originalité est de détecter, à travers des sources diversifiées, les ambiguïtés masquant les contradictions et mensonges du langage des dirigeants et des médias, et de dévoiler la manipulation qui transforme les individus en esclaves volontaires et s’étend à toutes les sphères de la société.