Selon la prédiction, seuls échappent à la destruction de Troie par les Grecs, Énée, son vieux père Anchise, son jeune fils Iule, et une poignée d’élus protégés par Vénus, mère divine du héros. Ce dernier, atteignant enfin l’Italie où il se remarie, est censé être à l’origine des Romains. Magda Szabó, gênée par la désinvolture avec laquelle Virgile fait disparaître une épouse encombrante, réécrit l’Énéide, qui devient la Créüside à « l’instant » où Créüse, femme Énée, le tue et prend sa place.
L’écrivaine hongroise a longtemps porté en elle cette oeuvre qui ne ressemble pas à ses autres livres (La Porte, Livre du Mois, N.B. nov. 2003), mais conserve sa marque. Il fallait une imagination fantaisiste et subtile pour donner à une femme le rôle du héros légendaire et faire une variante, pleine de sens contemporain et personnel, d’un écrit désuet. L’histoire est contée par Créüse-Enée, à l’image de l’auteure attachée à ses origines, dans une langue poétique épique, mais truffée d’expressions inventées ou modernes, mélange savoureux introduisant dans la légende humour et recul. Malgré des longueurs, le texte fait étonnamment vivre des personnages improbables. Morale optimiste : il faut saisir la perche que tend exceptionnellement le destin, tout tracé soit-il.
L.G. et C.R.D.P.