Petit point de la mer Égée, l’île Fourmi, autrefois florissante, a été vidée de ses habitants, conformément à l’accord signé en 1923 par la Grèce et la Turquie qui impliquait les échanges de populations. Vassilis est le seul à n’avoir pas quitté l’île, et Poyraz Musa, rescapé des plus meurtriers champs de bataille, le premier à y avoir trouvé refuge. Les deux hommes se lient d’amitié et craignent, autant qu’ils l’espèrent, l’arrivée de nouveaux fugitifs. Peu à peu, des affamés venus de tout l’ancien empire ottoman débarquent sur cette terre d’asile et voient la fin de leur errance. Ils sont accueillis avec une inépuisable générosité…
Porté par un souffle à la fois puissant et poétique, le deuxième volet de cette vaste trilogie (cf. Regarde donc l’Euphrate charrier le sang, NB août-septembre 2004), qui peut se lire séparément, laisse entendre les voix de Grecs, Turcs, Crétois, Kurdes contraints à l’exil et hantés par d’abominables images de guerre. Tous aspirent à la paix et tentent malgré les disparités de construire une communauté fraternelle. Yachar Kemal explore avec sensibilité l’âme de ces êtres à jamais blessés, compose un hymne infini à la nature, mêle légendes et réalité. Et oppose à la cruauté historique la force de l’espoir.