Paris 1871, Auguste Bretagne, feuilletoniste morbide doit livrer d’urgence son texte à la Gazette de Paris. Un de ses personnages vient d’être guillotiné … Un coursier sonne à la porte d’Auguste et lui livre …une tête humaine ! Est-ce le cadeau de lecteurs dérangés ou des “Vilains bonhommes“, joyeux drilles provocateurs et iconoclastes comme les poètes Charles Cros, Rimbaud, Verlaine… mais aussi Emilie maîtresse d’Auguste, au tempérament de feu. À l’hôtel des Étrangers, lieu de rencontre du groupe, l’absinthe coule à flot, chahuts, et rixes sont la règle comme les audaces littéraires et graphiques. Si les deux amants s’y rencontrent, Emilie ne peut supporter le cadre morbide dans lequel vit Auguste et ignore que dans leur chambre est mort le Comte de Lautréamont .Ce jeune prodige du « cauchemar sublime » est l’auteur des Chants de Maldoror qui ont provoqué chez Auguste des rêves tempétueux devenus pour lui source d’inspirations.
Un soir où ils ont partagé du peyotl (hallucinogène et sésame vers le surnaturel), Rimbaud et Bretagne sont réveillés par le fantôme de Lautréamont chantant au piano ses complaintes fétides. On découvrira que cette musique ne vient pas d’outre tombe mais d’un “paléophone“ , dont les cylindres de cire fixent la musique et la voix du défunt…Mais Rimbaud qui a partagé avec Lautréamont l’ivresse poétique et “peyotlique”, veut en garder le secret. Beaucoup plus tard, Bretagne et Eugène de TS, (un peintre montmartrois) raconteront cette histoire dans une “figuration poético narrative“ qui pourrait être l’ancêtre de la BD. Cette fiction fantastique nous immerge dans le Paris littéraire de la fin du XIXème siècle où la provocation, les excès mais aussi l’inventivité sont la norme pour les artistes d’avant-garde.
Le feuilleton est à la BD ce que la poésie est à la littérature : une géométrie grandiose et lumineuse… aurait pu écrire Lautréamont s’il avait connu Edith et Corcal les auteurs de cette fable graphique. Cortal a concocté un scénario original, tourbillon romanesque et crédible avec des personnages réels (le groupe des “zutistes“ en son temps défraya la chronique), et d’autres légèrement “détournés“ comme le Auguste Bretagne. Sur un papier vieilli, les images d’Edith sont pleines de charme. L’action se déroulant principalement la nuit, les couleurs froides dominent avec des bleus et verts du meilleur effet. Pour s’affranchir d’avoir forcé la main du réel, les auteurs nous gratifient d’une introduction et d’une post-face qui peuvent faire douter les naïfs. Cette BD est une réussite à consommer sans modération.