L’envie d’être ailleurs… Depuis qu’il est tout jeune, où qu’il soit, il a souvent « la tête ailleurs ». Alors, il s’évade et s’envole par la fenêtre. Et quand on lui demande de justifier son « absence », il dit la vérité — il a « suivi un troupeau de chevaux au galop » — mais on ne le croit pas. Irrésistiblement, il s’échappe de plus en plus souvent, oiseau jaune « dans les nuages » ou au milieu des poissons… ce qui n’est pas du goût de ses parents. Mais, non, il n’est pas malade. La musique, quand elle est belle, donne aussi des ailes.
Le sourire intérieur qui éclaire son visage reflète sa différence, et un jour, devenu adulte avec femme et enfants, il découvre comment exprimer cet élan : la plume de l’oiseau se fait plume d’écrivain, et ses mots sur des feuilles qui s’envolent par la fenêtre font s’envoler d’autres hommes…Phrases sobres, graphisme à la fois simple, fluide, et travaillé au trait dans une grande finesse, c’est l’univers d’un rêveur, d’un poète, qui s’exprime à travers mots et images chargés de symbole. Le personnage de Marie Dorléans semble avoir puisé aux sources les plus intimes d’un surréalisme à la Prévert, dans cette imperceptible manière d’écrire le quotidien à l’encre invisible de la poésie. Des silhouettes souples, dégingandées, sans cesse en mouvement, un regard décalé sur le monde façon Tati ; une image aérienne à la Folon, sans oublier cette touche légère d’hyperréalisme fantastique qui ferait un détour du côté de Dali.
Tout fait sens : le balancier de la pendule qui marque le temps suspendu de l’« absence », l’évasion par la lecture et l’écriture, l’opposition entre le monde adulte réaliste, statufié et gris, dessiné en traits minutieux à l’encre noire jusque dans la trame des tweeds empesés, que l’on devine un peu rêches, et l’envol des crayons qui habillent de couleurs animaux et paysages du pays de l’imagination.
Indispensable à l’heure où la manifestation du « Printemps des Poètes » semble remise en question, ce subtil plaidoyer prend la cause de tous ceux qui embellissent un quotidien trop terne des couleurs de l’imaginaire. Pour ne jamais oublier que la vie est faite aussi d’une part du rêve.