La vraie couleur de la vanille

CHÉRER Sophie

Sur une impulsion, FerrĂ©ol Bellier Beaumont, botaniste passionnĂ©, riche planteur de l’üle Bourbon dans les annĂ©es 1840, s’attache Ă  un orphelin nouveau-nĂ©, un bĂ©bĂ© noir. L’enfant, qu’il prĂ©nomme Edmond, grandit prĂšs de lui ; d’une intelligence vive, il connaĂźt vite les plantes et mĂȘme leurs noms grecs ; jamais cependant le maĂźtre ne lui apprend Ă  lire ni Ă  Ă©crire. La bonne sociĂ©tĂ© locale se gausse dĂ©jĂ  trop de son engouement pour un esclave ! À onze ans, Edmond manipule une fleur de vanillier et rĂ©alise la premiĂšre pollinisation artificielle. Il fait la fortune de l’üle ; mais sa peau est ,hĂ©las !, de « la vraie couleur de la vanille ».

 

Une photo — celle de la couverture — et les Archives de Saint-Denis de la RĂ©union ont fourni Ă  Sophie ChĂ©rer la substance documentaire de ce roman : l’existence attestĂ©e de ces deux personnages tombĂ©s dans l’oubli. Elle choisit avec passion de leur rendre justice et de combler, par la fiction, les oublis coupables de l’Histoire. Le Code Noir, l’approche de l’abolition de l’esclavage qui exacerbe les tensions sont la toile de fond d’une barbarie quotidienne bien ancrĂ©e.

 

Mais il s’agit bien d’un roman. Force de l’écriture : l’incision de la fleur du vanillier, rĂ©pĂ©tĂ©e, fait Ă©cho, douloureusement, Ă  une autre scĂšne de dĂ©floration, centrale dans la construction du rĂ©cit. Le traumatisme fait-il l’homme ? Il fait, Ă  coup sĂ»r, le personnage. Dans ce monde Ă  fleur de peau, aucun choix n’est simple : les relations entre FerrĂ©ol et son protĂ©gĂ© sont compliquĂ©es, ambiguĂ«s. Entre rousseauisme et clichĂ© colonialiste, entre gĂ©nĂ©rositĂ© et dĂ©ni de la libertĂ©, entre admiration enthousiaste et jalousie, le portrait du maĂźtre est riche de contradictions, celui de l’élĂšve aussi, sensible, ombrageux, respectueux et rebelle Ă  la fois. PersonnalitĂ©s complexes et attachantes, ils tĂ©moignent de conflits humains qui n’ont pas disparu. La vĂ©ritĂ© romanesque est Ă©ternelle.

 

Ils sont aussi nos guides, porte-paroles de la romanciĂšre dans l’évocation enivrante d’un jardin botanique Ă  la dimension de l’üle. À la poĂ©sie des couleurs et des parfums qu’elle fait vibrer, Sophie ChĂ©rer associe la magie des mots. Avec un Ă©vident plaisir, elle fait dĂ©couvrir, sans jamais ennuyer, une nomenclature pittoresque : celle des vĂ©gĂ©taux. L’écrivain sait Ă  quel point donner un nom c’est faire exister : le gardĂ©nia, le fuchsia, La RĂ©union, Edmond Albius.