Le grillon

KOËGEL Tristan

MostĂ©fa, « le Grillon », dĂ©teste les histoires de pirates-mĂȘme pour rire. Car avant d’ĂȘtre accueilli, comme d’autres gamins des rues, dans un institut de Mogadiscio, il en Ă©tait un, en vrai. Il raconte son enlĂšvement, quand il Ă©tait petit, aprĂšs la destruction du bateau de pĂȘche de ses parents, sa vie de gosse de douze ans sur le « navire-mĂšre » des forbans, au large de la Somalie, protĂ©gĂ© par les uns, maltraitĂ© par les autres, tĂ©moin gĂȘnant de leurs tractations houleuses ; il dĂ©crit sa vie d’enfant,  ses « jeux » dangereux avec les armes mais aussi les moments d’évasion merveilleux que lui procure un vieil imagier : sur une page, une fillette en robe rouge, Dress, « devenue » son amie.

Ce premier roman aborde avec intelligence l’histoire contemporaine de la Somalie. Un bref rappel historique s’imposait ; un prologue concis dit l’essentiel avec clartĂ©. La fiction a apprivoisĂ© les flibustiers d’hier. Les nouveaux ? Hommes rudes, cassĂ©s par la vie mais capables d’affection  ou  cyniques profiteurs, ou les deux, ils sont dessinĂ©s d’un trait vigoureux, aussi  pittoresques que leurs romanesques prĂ©curseurs. On ne connaĂźt guĂšre les raisons de leurs actes ; le Grillon, narrateur, les jauge Ă  l’aune de leurs comportements envers lui, amicaux ou menaçants. Le reste lui Ă©chappe et le romancier l’estompe Ă  juste titre.

Au premier plan, l’enfant, porteur d’une question sous-jacente au rĂ©cit : que devient l’enfance dans de tels bourbiers ? À sa maniĂšre, le hĂ©ros de Tristan Koegel rĂ©siste. Ce n’est pas un enfant-soldat gangrenĂ© par un dressage inique. Juste effrayĂ©, Ă©garĂ© dans le monde des grands, il s’adapte pour survivre, tous repĂšres faussĂ©s entre le bien et le mal ; mais parfois tellement drĂŽle. L’intrigue ne cĂšde pas Ă  la noirceur du contexte : l’imagier qui sauve Mostefa de la solitude et de l’ennui introduit, sans crier gare, fantaisie et poĂ©sie. Jolie trouvaille narrative exploitĂ©e habilement jusque dans l’évasion du  dĂ©nouement.

Il n’était pas facile enfin de confier la narration tout entiĂšre Ă  un enfant sans courir le risque qu’elle sonne faux ; elle sonne juste dans ses rĂ©flexions comme dans le ton adoptĂ© tout au long du rĂ©cit.