Dans une petite salle des ventes de province où se dispersent des trophées de chasse, au milieu de la monotonie d’adjudications sans relief, les prix s’emballent brusquement et crèvent les plafonds. Deux hommes surenchérissent pour des cornes (un cornage), d’une sorte de buffle d’Asie apparemment quelconque, appelé « Kouprey ».
Limul Goma, le richissime collectionneur d’objets insolites qui a acquis le trophée (le massacre), dévoile le secret de l’animal porteur de ces étranges cornes. C’est Magloire Desgravières qui tua par mégarde le splendide spécimen d’une nouvelle race. Le monde de la chasse aux grands fauves et les massacreurs inconséquents détruisirent les derniers représentants de la race. Limul explique ensuite comment l’histoire qui aurait pu n’être qu’anecdotique rejoignit la grande Histoire par la présence du jeune Pol Pot que Magloire sauva de la mort en tuant le monstrueux animal.
Le mot Massacre prend alors une nouvelle dimension : derrière le simple front de buffle orné de ses cornes velues, apparaît l’autre massacre, celui qui eut lieu de 1975 à 1979 sur ordre de Pol Pot qui manqua d’être tué par le Kouprey. Le sort de cette partie du monde aurait été tout autre sans le malheureux tir que Malgloire regretta toute sa vie.
Cet album étrange et fascinant, soutenu par un graphisme faussement naïf rappelant les années 60, avec ses traits clairs et appliqués animés par des couleurs doucement contrastées, possède un sens éprouvé du récit qui, malgré quelques longueurs, sait retenir l’attention. Mélangeant une grande part de réalité – découverte et fin du Kouprey, massacres perpétrés au Cambodge – avec quelques touches de fiction et de légendes fantastiques, Hureau offre un album original capable d’ouvrir l’imagination à la fois sur la réalité et sur le rêve.