Vois comme ton ombre s’allonge

Le nom de Gipi ne peut laisser indifférent. Le lecteur sait que l’ouvrage sera complexe, difficile à appréhender, mais d’une grande profondeur et merveilleusement illustré. Cette fois, il évoque un écrivain hospitalisé pour troubles mentaux. Son portrait s’élabore lentement, comme en un puzzle, complété par les diverses représentations intérieures qui traversent, obsessionnelles, son esprit. Une station-service, un majestueux arbre mort, le vieillissement du visage et les rides qui se creusent comme des cours d’eau et enfin, longuement, la guerre de 14 dans les tranchées.  Dans un désordre total, se mélangent les images récurrentes de sa réalité présente et celles qui se rapportent à des souvenirs ou, peut-être, aux sujets qui auraient pu lui inspirer un nouveau roman. 

Sa vie actuelle est représentée par des ébauches rapides au crayon, griffonnées, sans affect, comme extérieures à lui-même, d’un monde qui ne le touche pas : celui des médecins, de sa femme, de ses monstrueux éditeurs. Le monde qui l’émeut, c’est celui de son grand-père, des soldats dans les tranchées qui se font écraser au pied d’un arbre sec, enfer dépeint par de splendides aquarelles mystérieuses et poétiques. Cette description d’un cerveau dérangé pourrait n’être qu’un fatras d’images incohérentes. Elle devient un bel hommage à la folie d’un esprit talentueux.