Paysan en Sibérie, Pacôme vit avec sa femme, cultivant ses champs, trayant ses vaches… Ils ne manquent de rien même s’ils ne sont pas riches. Les troupeaux broutent l’herbe des uns ou des autres, même celle de la Barynia, riche propriétaire des terrains voisins. Mais celle-ci vient au village, flanquée de son fils. S’opposant à ce laisser-aller, celui-ci désigne un intendant qui punit chaque désobéissance. Coups de fouet, corvées et amendes pleuvent. Lassée des disputes, la Barynia décide de vendre ses terres à l’intendant. Consternés, les villageois partent en délégation auprès de la grande dame. Une seule solution : surenchérir, mais comment trouver les fonds ? – Pacôme, poussé par les rêves de richesse de son épouse et fasciné par l’image de son frère enrichi à la ville, lui emprunte de l’argent et se porte acquéreur. Devant protéger ses biens, il entre en conflit avec ses anciens amis. Il lui faut aussi rembourser ses dettes et, pour cela, agrandir ses terres. La spirale de l’ambition est enclenchée. Veyron raconte sa « petite histoire » : la vie simple d’un moujik devenu envieux. Les vaches paissent tranquillement, les uns passent la charrue, les autres boivent un bon coup. Puis l’avidité s’empare du paysan et transforme son existence. Peu à peu, doucement, une action découlant de l’autre, la chute s’approche inexorablement : c’est la mort qui attend le paysan. Le récit se déroule dans un univers apaisé, poétique, comme dans un conte. Par petites touches et avec finesse, Veyron tourne en ridicule ce héros qui désire devenir « quelqu’un » tel la grenouille qui enfle pour devenir plus grosse que le boeuf. La dernière planche donne la morale de l’histoire : « ce qu’il faut de terre à l’homme », se réduit à la surface d’une tombe. Inspiré d’une nouvelle de Tolstoï, cet album est un chef d’oeuvre de philosophie, de délicatesse et de réflexion. Le dessin – petits personnages en ligne claire légèrement surlignés, paysages aux couleurs de terre : ocre, vert sombre ou jaune paille – transporte le lecteur dans un monde heureux, jusqu’à une chute désastreuse. (A.D. et P.P.)
Ce qu’il faut de terre à l’homme
VEYRON Martin