Ma grande soeur et moi

CIRAOLO Simona

InquiĂšte, une petite fille feuillette un album de photos. Plus de doute possible : sa soeur n’est plus la mĂȘme personne. Elle n’a pas pu grandir aussi vite, se dĂ©sintĂ©resser subitement des jouets, dĂ©guisements et autres plaisirs qu’elles partageaient. Elle a maintenant ses secrets, la porte de sa chambre reste fermĂ©e. Ses copains, tout en jambes et Ă©couteurs, sont bizarres. Les parents eux-mĂȘmes ont changĂ© d’attitude avec leur aĂźnĂ©e. Le chat de la maison, silencieusement dĂ©concertĂ©, observe. Que se passe-t-il ? L’écart qui se creuse entre frĂšres et soeurs au moment oĂč l’aĂźnĂ© devient adolescent est immense et un premier deuil survient pour celui qui se sent dĂ©laissĂ©. Peu abordĂ© dans les albums jeunesse, ce thĂšme prend le pas sur la description de l’adolescence, en arriĂšre- plan. Une approche nĂ©anmoins originale de celle-ci, grĂące au point de vue choisi, celui de la cadette sensible Ă  la mĂ©tamorphose. Le corps s’affine, le vestiaire change comme change le dĂ©cor de la chambre et l’attention portĂ©e aux autres, marqueurs visibles que les menus dĂ©tails de l’illustration soulignent avec amusement. Rien d’explosif dans cette jolie adolescente, les cheveux crĂąnement relevĂ©s au sommet de la tĂȘte, le tee-shirt coquin, la pose dĂ©sinvolte, dessinĂ©e avec tendresse d’un trait Ă©nergique et parĂ©e de couleurs pimpantes. Tout simplement charmante !Face Ă  elle, la perplexitĂ© de la fillette, Ă©voquĂ©e par l’ouverture de l’album de photos 
 qui parlent de ce qui n’est plus. Toute mĂ©moire familiale s’enracine ainsi, entre amusement et nostalgie. Deux doubles pages leur sont consacrĂ©es : repĂšres incontestables de la transformation des enfants, elles ont Ă©galement fixĂ© des moments de complicitĂ© sans nuages et alimentent le blues du moment. D’abord intriguĂ©e, la cadette mĂšne l’enquĂȘte, curieuse, narquoise, jalouse, autant que frustrĂ©e et malheureuse. Ces nuances, dĂ©clinĂ©es au fil de l’album, dynamisent les moments clĂ©s de ce drame enfantin, jamais redondants. Le lecteur sourit puis passe Ă  une rĂ©elle Ă©motion quand l’énergique fillette fond en larmes et que la grande soeur comprend et la console. L’habiletĂ© de la construction du rĂ©cit rejoint la justesse de l’analyse psychologique et conduit Ă  un dĂ©nouement serein fait pour rassurer. Dans la tonalitĂ© tendre de cet album, la palette de couleurs a valeur de signe, identifiant chaque Ă©motion, entre gris, orange, rouge et cĂ©ladon. Le crayon de couleur dĂ©limite les formes sans appuyer au profit de l’expressivitĂ©. La mise en page aĂ©rĂ©e sur fond blanc ne sature jamais l’image. L’originalitĂ© graphique est au service de l’histoire qu’elle raconte. Une qualitĂ© rare. (A.M.R et C.B.)