Garçon devenu femme, Anjum a rejoint la caste des hijra, transgenres au rôle ambigu. Installée dans un cimetière musulman, elle rassemble peu à peu autour d’elle, enfants et animaux compris, un petit phalanstère de marginaux aussi tolérants et généreux qu’elle-même. Tandis qu’à l’université, trois étudiants en architecture sont passionnément amoureux de l’étrange Tilo. Leurs destins ne cesseront de tourner autour d’elle : à Srinagar, où les horreurs de la guérilla font du Cachemire paradisiaque un enfer; à Delhi, où Tilo trouvera enfin le repos auprès d’Anjum. Après Le dieu des petits riens (NB juin 1988) et plusieurs essais, Arundhati Roy revient au roman avec la même indignation explosive. Son récit dénonce la police brutale, corrompue, un gouvernement qui attise les affrontements intercommunautaires. Il détaille jusqu’à la nausée arrestations arbitraires, tortures, exécutions commises par l’armée au Cachemire. La chronologie est incertaine, l’intrigue mal identifiable, les styles contrastés, les rythmes et tonalités multiformes, les allusions politiques obscures au non-initié. Mais d’exquises miniatures peuvent succéder aux carnages, le lait de la tendresse humaine aux abîmes de la violence. Cet hommage au petit peuple indien, dans un pays décrit au bord de la décadence, est impressionnant. (M.W.)
Le ministère du bonheur suprême
ROY Arundhati