Et l’ombre s’est épaissie

LAUREAU-DAULL Élisabeth

Dans son grand appartement encombré par les détritus, la vieille dame recluse ne vit plus que pour sa peinture morbide et la boisson. Elle soliloque, ressasse jour après jour l’inventaire des dates et lieux de sa vie difficile, imagine que son enfant, sa fille rebelle, perdue, revient et exige qu’elle lui raconte enfin son passé, l’exil familial à Paris, la déportation, le retour…  Un drame récurrent – de mère en fille sur trois générations – de femmes qui ont choisi de ne pas parler du passé, scellant leurs secrets intimes dans la volonté d’oubli ou dans la mort. Folie ou désespoir ? Égoïsme, insensibilité ou tentative désespérée de se protéger d’une fatalité ? Les traumatismes hérités, vécus, transmis, sont encore plus dévastateurs quand ils sont enfouis pour être occultés. Dans un récit très court, tendu et dense, Elisabeth Laureau-Daull (Le syndrome du glissement, NB mars 2012) adopte un ton original et poignant qui tranche sur les nombreux témoignages de survivants des camps de la mort. Partant du portrait à charge d’une femme rompue, mauvaise mère et mauvaise épouse, la construction habile instille à petites touches une empathie paradoxale pour un personnage destructeur. Cruel, sombre et bouleversant.  (T.R. et D.D.)