Charlie est unique

BIDDULPH Rob

Le Ouaf-Ouaf City Express file entre allĂ©e boisĂ©e, immeubles alignĂ©s et panneaux publicitaires au goĂ»t du jour : « Achetez encore ! », « Voulez-vous un chapeau ? ». Il emmĂšne vers leur destination son lot de teckels voyageurs, tous identiques. Sur une double-voie parallĂšle, roulent les voitures : de petites berlines jaunes conduites par d’autres teckels aussi imperturbables que les prĂ©cĂ©dents. De part et d’autre, place aux piĂ©tons : costume noir et chapeau melon, ils ont le sĂ©rieux des hommes pressĂ©s de la City. Enfin, sur le gazon du terrain de foot, en maillot rayĂ©, les deux Ă©quipes attendent, museau attentif, le coup de sifflet d’envoi. L’ordre rĂšgne Ă  Ouaf-Ouaf City, dans une uniformitĂ© sans faille : mĂȘmes corps en tuyau de poĂȘle, mĂȘmes oreilles pendantes, mĂȘme oeil rond ! Sauf Charlie : elle rĂ©serve une belle surprise pour qui la repĂšre dans la foule avec sa grande Ă©charpe Ă  rayures colorĂ©es enroulĂ©e autour du corps, bonnet et casque audio sur la tĂȘte. À contretemps et dĂ©solĂ©e de l’ĂȘtre, elle dĂ©tonne, jamais dans la course, « jamais au diapason ». Alors elle choisit l’exil : Doggywood, par-delĂ  les mers !Charlie et ses congĂ©nĂšres ! La premiĂšre bonne idĂ©e de cet album est le choix de ce chien Ă  l’oeil triste, au corps ridicule, dont les mimiques se rĂ©sument Ă  l’orientation des oreilles
 pour aborder la question de la diffĂ©rence : l’excentrique ici est banal ailleurs. Pour autant, quelle place fait-on Ă  qui sort du lot, quelle contenance adopter quand on est celui-lĂ  ? Plein d’humour, le voyage « initiatique » de Charlie rĂ©pond clairement Ă  ces questions. Avec un sens du rĂ©cit et de la chute qui garantit effet de surprise et amusement jusqu’à la vigoureuse injonction finale : « Sois toi-mĂȘme ».  Rob Biddulph invente une Ă©criture graphique de l’uniformitĂ© qu’il raille par la dĂ©multiplication de motifs identiques et d’alignements parallĂšles : combien sont-ils, dĂ©bordant de chaque page, reproduits avec mille dĂ©tails dans un jeu sĂ©riel oĂč, malicieusement, se glisse la fausse note qui sauve de la monotonie ? MĂȘme inventivitĂ© pour dire le temps qui passe : Charlie, dans son pĂ©riple d’un an, traverse, au sens propre du terme, les quatre saisons, le corps saucissonnĂ© en quatre images parlantes. Et quand il s’agit de dĂ©cliner tous les looks possibles de la gent canine rĂ©conciliĂ©e avec ses variantes, l’illustrateur s’en donne Ă  coeur joie : pirate, danseuse, abeille et mĂȘme hot dog. Chaque option est tellement drĂŽle ! Une double page pleine de couleurs comme une invitation Ă  oser soi-mĂȘme la fantaisie, Ă  dessiner ses propres chiens-saucisses. Pourquoi pas ! (C.B. et A.-M.R.)