Dans le monastère désaffecté d’une île du lac Ladoga, sont relégués par Staline des grands mutilés de la seconde guerre mondiale, la plupart culs-de-jatte, « les samovars », qui mendiaient auparavant dans les mégalopoles russes. Deux jeunes soldats estropiés, liés par une profonde amitié, fantasment, entre deux gorgées de gnôle, sur une jeune héroïne aviatrice dont ils gardent précieusement la photo, et planifient une expédition pour lui rendre hommage. Michel Jullien est un esthète de l’écriture (Denise au Ventoux, NB mars 2017). Passée la première page qui peut rebuter par son expression alambiquée, l’histoire tragique et burlesque des deux comparses, unis par un destin dramatique et une solidarité sans faille, touche profondément. Sans gommer le contexte effroyable et authentique, mentionné par Soljenitsyne dans son oeuvre et vécu par ces deux jeunes gens – errance dans les rues de Moscou et de Leningrad, suivie du bannissement dans le grand froid sibérien –, l’auteur fait de ce récit une véritable fête. Humanité extraordinairement chaleureuse, humour aussi réconfortant que les lampées de vodka, joie de vivre chevillée au corps, capacité d’émerveillement… le tout emballé dans un style descriptif, imagé, travaillé à l’extrême, mais toujours imprégné de sentiments d’une grande richesse. (L.K. et L.D.)
L’île aux troncs
JULLIEN Michel