Maître incontesté de l’horreur, un art injustement considéré comme de la sous-littérature, Stephen King, après des débuts difficiles, a acquis à partir du milieu des années 70 une notoriété grandissante. Embrassant des genres très différents et abordant des sujets de société aussi nombreux que variés, il a à son actif plus de cinquante romans et est aujourd’hui universellement reconnu y compris dans le monde littéraire.
Maître King a encore frappé ! Avec L’outsider, paru en France début 2019, il renoue avec le genre qu’il affectionne, l’horreur dans la vie quotidienne de citoyens lambda. Ses inconditionnels, et ils sont nombreux, seront heureux de retrouver la délicieuse et originale Holly Gibney, un des personnages principaux de la trilogie centrée autour de Bill Hodges, policier à la retraite, et composée de M. Mercedes, Carnets noirs et Fin de ronde.
Il est impossible de résumer une carrière aussi longue, une œuvre aussi foisonnante – plus de cinquante romans et environ deux-cents nouvelles. Peut-être faut-il commencer par…
Une jeunesse difficile
Il était une fois, en 1945 exactement, un couple qui pensait ne pas pouvoir avoir d’enfants. Donald et Ruth adoptent alors un nouveau-né, David. Mais surprise, deux ans plus tard, le 21 septembre 1947 leur naît un fils qu’ils prénomment Stephen. Un conte de fée direz-vous ? Pas vraiment, non. Car en 1947, Donald, coureur de jupons impénitent, quitte tout ce petit monde pour ne plus jamais revenir. Ruth se retrouve seule à élever ses deux garçons, dans des conditions financières très précaires. Est-ce de sa petite enfance que Stephen a gardé une image du père poltron et de la mère courage ? Qui sait…
« Une carrière longue, une œuvre foisonnante :
plus de cinquante romans et
environ deux-cents nouvelles »
Sa mère lui offre sa première machine à écrire pour Noël en 1958, il a onze ans. Le jeune Stephen poursuit sa scolarité bon an, mal an, il est plutôt bon élève mais n’est pas très sociable. Pas vraiment sportif non plus du fait de ses problèmes de poids. Pendant la dernière année de son école secondaire, en 1966, Stephen King écrit sa première version de Rage, qu’il laisse inachevée.
Des débuts peu encourageants
Après ses études secondaires, il étudie la littérature à l’université du Maine d’Orono de 1966 à 1970. Pendant sa première année, il écrit Marche ou crève, premier roman complet qu’il présente à un concours organisé par Random House. Le roman est rejeté, à son grand désespoir. Il écrira ensuite quelques nouvelles qui lui rapporteront une poignée de dollars. C’est en 1969 qu’il rencontre Tabitha, elle aussi étudiante en lettres, à la bibliothèque du campus. C’est le coup de foudre, ils ne se quitteront plus.
Les débuts du ménage King sont difficiles, ils tirent le diable par la queue, à tel point que Stephen se voit obligé de travailler dans une blanchisserie industrielle. Il trouve enfin un poste d’enseignant en 1971, pour un salaire de 6400 dollars par an. La famille s’est agrandie avec la naissance de Naomi en 1971 puis de Joe en 1972, ils vivent tous les quatre dans une caravane… Les trois romans qu’il a écrits pendant cette période, Rage, Blaze et Running Man, sont refusés par les éditeurs. C’est à cette période que Stephen King développe une addiction à l’alcool.
Carrie et le début du succès
En 1972, il commence la rédaction de Carrie, l’histoire d’une adolescente dotée de pouvoirs télékinésiques. Mécontent de son travail, il jette les premières pages à la poubelle mais Tabitha les sauve et encourage son mari à persévérer. Il expédie son manuscrit terminé à la maison d’édition Doubleday qui accepte le roman en mars 1973, faisant signer à King un contrat type qui l’engage pour cinq romans. Quand Doubleday l’informe que les droits en édition de poche de Carrie ont été vendus pour 400.000 dollars et que la moitié de cette somme lui revient, King décide d’arrêter sa carrière d’enseignant pour se consacrer uniquement à l’écriture. Doubleday publie Carrie le 5 avril 1974 puis Salem le 17 octobre 1975. La famille achète sa première maison à Bridgton et l’écrivain entreprend la rédaction de Shining, l’enfant lumière.
En 1976, Stephen King engage un agent littéraire car il n’est pas satisfait du pourcentage des droits d’auteur qu’il touche et que Doubleday refuse de renégocier son contrat. Cet agent négocie un nouveau contrat avec Viking Press qui engage King sur trois livres pour 2.500.000 dollars… Shining paraît le 28 janvier 1977 et entre brièvement sur la liste des best-sellers du New York Times. Tous les romans suivants de Stephen King seront des best-sellers, exceptés ceux parus en édition limitée ou sous son pseudonyme.
Rage de Bachman : naissance d’un pseudo
Sa notoriété grandissante le mettant sous pression et les standards de l’édition de l’époque ne permettant pas à un auteur de publier plus d’un livre par an, il se crée le pseudonyme de Richard Bachman. C’est sous ce nom que paraît en 1977, dans l’indifférence générale et directement en édition de poche, Rage roman qu’il avait commencé au lycée en 1971 et qui raconte une prise d’otages dans un lycée. Il faudra attendre vingt ans pour que Stephen King retire son livre de la vente, après que plusieurs tueries aient eu lieu aux États-Unis et qu’un exemplaire de Rage ait été retrouvé dans les affaires des tueurs. Contrairement à ce qui est indiqué dans le livre de Loren Coleman, The Copycat Effect, Stephen King ne s’est pas excusé d’avoir écrit Rage, il estime que seul, son livre n’aurait pas pu pousser les tueurs à commettre leurs actes. Mais il dit haut et fort qu’il a retiré Rage de la vente car « on ne laisse pas un jerrycan d’essence à la portée d’un enfant animé de tendances pyromanes ». Il milite activement depuis pour l’interdiction de vendre des armes automatiques et semi-automatiques, en particulier dans son essai Guns, paru en numérique en 2013.
Toujours en 1977, King vend sa maison de Bridgton et déménage en Angleterre avec sa famille, agrandie avec la naissance d’Owen en février. L’expérience tourne court et ils reviennent dans le Maine trois mois plus tard. Cependant, Stephen King aura rencontré durant ce court séjour l’écrivain Peter Straub avec lequel il évoquera la possibilité d’une future collaboration.
En 1978, Doubleday publie deux nouveaux livres de King, Danse Macabre, recueil de vingt nouvelles, et Le Fléau, considéré par beaucoup comme l’un de ses chefs-d’œuvre. Mais Doubleday oblige l’écrivain à opérer de nombreuses coupures, le roman étant très volumineux. Marche ou crève est le deuxième roman de King édité sous le pseudonyme de Richard Bachman et sort directement en collection de poche en juillet 1979. Un mois plus tard, c’est à Dead Zone de sortir en librairie, premier livre édité par le nouvel éditeur de l’écrivain, Viking Press.
Les années prolifiques
Dans les années 1980, Stephen King continue à écrire à un rythme soutenu. Tout d’abord, Charlie, publié en août 1980, qui raconte l’histoire d’une petite fille dotée d’un pouvoir de pyrokinésie. Puis trois ouvrages en 1981 : Chantier, sous le nom de Richard Bachman, Anatomie de l’horreur, premier livre non-fictif de l’écrivain, et enfin Cujo. Trois parutions aussi en 1982 : Running Man, sous pseudonyme, Le Pistolero, premier volume du cycle de La Tour Sombre, et Différentes Saisons, recueil de quatre récits, trop longs pour être des nouvelles mais trop courts pour être des romans. On ne l’arrête plus, trois nouveaux romans sont publiés en 1983 : Christine, Simetierre et L’Année du loup-garou. King ne voulait pas publier L’Année du loup-garou, le jugeant trop terrifiant, mais il a changé d’avis car son contrat le liant à son ancienne maison d’édition, Doubleday, l’obligeait à lui fournir un dernier roman… En 1984, le romancier aborde le genre de la fantasy avec Les Yeux du dragon et Le Talisman, coécrit avec son ami Peter Straub qu’il avait rencontré lors de son court séjour en Angleterre.
Quelques jours après Le Talisman sort La peau sur les os, cinquième roman paru sous le pseudonyme de Richard Bachman. Mais Steve Brown, un employé de librairie, trouve que ce roman ressemble beaucoup aux oeuvres de King et menace ce dernier de tout dévoiler publiquement. L’écrivain le prend alors de vitesse et avoue en février que Bachman et lui ne sont qu’une seule et même personne. Les ventes s’envolent, passant en quelques semaines de 28000 à 280000 exemplaires…
La popularité de Stephen King atteint des sommets et Brume, recueil de vingt textes paru le 21 juin 1985, se place pendant neuf semaines consécutives à la première place des best-sellers du New York Times, fait inédit pour un recueil de nouvelles. En 1986, paraît Ça, roman qui plonge au plus profond des terreurs de l’enfance. Pour la première fois dans l’histoire de l’édition, le premier tirage de ce roman atteint le million d’exemplaires. Misery paraît en juin 1987 et remporte le prix Bram-Stoker. Et Les Tommyknochers est publié en novembre.
Passage à vide
King est prolifique mais sa dépendance à l’alcool s’est aggravée, il consomme désormais de la cocaïne et des médicaments. Sa femme Tabitha intervient et l’oblige à partir en cure de désintoxication. Il cessera toute consommation de drogue et d’alcool par la suite, mais aura du mal à reprendre son rythme d’écriture, après un syndrome de la page blanche de presqu’un an. C’est pourquoi aucun nouveau livre de King ne sort en 1988. Mais il publiera La Part des ténèbres en 1989, livre dans lequel le pseudonyme d’un écrivain prend vie.
En 1990, il est enfin libre de publier Le Fléau sous la forme qu’il souhaitait, avec environ 150000 mots supplémentaires. Deux nouveaux romans paraissent en 1991, Terres perdues et Bazaar. Puis en 1992 paraissent les deux premiers volets d’une trilogie féministe, Jessie et Dolores Claiborne, rejoints en 1995 par Rose Madder, des romans qui parlent de la condition féminine et notamment des violences conjugales. En 1996, il remet au goût du jour le roman-feuilleton en faisant paraître un épisode par mois de La Ligne verte pendant six mois. Il y dénonce le racisme et la peine de mort.
L’accident et le passage au numérique
En 1997, Stephen King change de maison d’édition pour la seconde fois et signe un contrat avec Scribner, qui publie en septembre 1998 Sac d’os. En 1999, La Petite Fille qui aimait Tom Gordon est édité en avril et Cœurs perdus en Atlantide en septembre. Mais entre ces deux dates, la vie de Stephen King a radicalement changé. En effet, il a été victime d’un grave accident en juin, renversé par une camionnette. Il souffre de nombreuses fractures et reste hospitalisé trois semaines. Il se remet à écrire dès sa sortie de l’hôpital et rachète le véhicule qui l’a accidenté afin qu’il ne puisse pas être revendu sur des sites de ventes aux enchères à ses fans.
« Les peurs de l’enfance, les drames familiaux,
les petites villes de province, le surnaturel,
Stephen King est sur tous les fronts. »
Les années 2000 commencent sous le signe du numérique. Stephen King publie sous ce format la nouvelle Un tour sur le Bolid’, qui bénéficie de 400 000 téléchargements le premier jour, faisant de cet e-book le premier best-seller numérique !
En 2001, King publie deux romans entièrement écrits après son accident : Dreamcatcher et Territoires, coécrit de nouveau avec Peter Straub. En 2002, King annonce qu’il va prendre sa retraite d’écrivain du fait des douleurs constantes qui le harcèlent depuis son accident. Mais il renonce à ce projet et sort deux livres cette année-là, Tout est fatal et Roadmaster. En 2003 une pneumonie l’affaiblit et il s’attache à terminer le cycle de La Tour sombre. Il change de genre en 2005 avec Colorado Kid, roman policier directement paru en poche, mais revient à ses premières amours en 2006 avec Cellulaire puis Histoire de Lisey. Blaze, écrit au début des années 1970, paraît sous pseudonyme en juin 2007, puis Duma Key sort en janvier 2008 et Juste avant le crépuscule en novembre de la même année. En 2009, Dôme est publié, son troisième livre le plus volumineux après Le Fléau et Ça.
En novembre 2010, Stephen King publie Nuit noire, étoiles mortes puis en novembre 2011, c’est 22/11/63, roman uchronique centré autour de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. C’est le plus grand succès commercial depuis Sac d’Os. En 2013 paraissent Joyland et Docteur Sleep. En 2014, le premier roman d’une trilogie centrée sur le personnage de Bill Hodges, policier à la retraite, est publié : Mr. Mercedes. Il sera suivi en 2015 de Carnets Noirs puis de Fin de ronde en 2016. Entretemps, il aura publié Revival en 2014, abordant le sujet du fanatisme religieux. Enfin, en 2017 il publie Sleeping Beauties, écrit en collaboration avec son plus jeune fils, Owen. En 2018 sort L’Outsider, dans lequel on retrouve Holly Gibney, l’un des principaux personnages de la trilogie Bill Hodges.
La consécration par le cinéma
Stephen King a toujours été passionné par le cinéma. À l’adolescence, il se rend quasiment tous les week-ends en stop au cinéma le plus proche de chez lui, c’est-à-dire à une vingtaine de kilomètres. Nombre de ses livres ont été adaptés au cinéma ou en série pour la télévision. Pour ne citer que les plus connus : en 1976, Carrie, de Brian de Palma, avec Sissy Spacek et John Travolta ; en 1980, Shining, de Stanley Kubrick, avec Jack Nicholson ; en 1983, Christine, de John Carpenter ; en 1990, Misery, de Rob Reiner, avec Kathy Bates et James Caan ; en 1995, Dolores Claiborne, de Taylor Hackford, avec la même Kathy Bates et Jennifer Jason Leigh ; enfin, en 1999, La ligne verte, de Frank Darabont, avec Tom Hanks et l’inoubliable et regretté Michael Clarke Duncan dans le rôle de John Coffey, comme le café… Stephen King collabore souvent au scénario des films et apparaît à l’occasion dans un petit rôle, comme dans le feuilleton Under the Dome.
« Ses romans ont été au début de sa carrière
sévèrement critiqués par les universitaires,
l’horreur étant considérée comme
une sorte de sous-littérature. »
King sur tous les fronts
Les peurs de l’enfance, les drames familiaux, les petites villes de province, le surnaturel, Stephen King est sur tous les fronts. Beaucoup de ses héros sont des écrivains et certains personnages se croisent d’un livre à l’autre. Il a un sens de la narration très vivant et n’hésite pas à interpeler ses lecteurs avec des petits bouts de phrases comme : « n’est-ce pas ? », « qu’en dites-vous ? », « réjouissez-vous Madame »… Il soutient le parti démocrate et a la dent dure contre Donald Trump. En 1986, il fonde la Stephen & Tabitha King Foundation, pour aider les pauvres de l’État du Maine, notamment dans les domaines de l’éducation et des soins médicaux. Si ses romans ont été au début de sa carrière sévèrement critiqués par les universitaires, l’horreur étant considérée comme une sorte de sous-littérature, il est aujourd’hui reconnu non seulement par le public mais par des sommités comme Joyce Carol Oates, qui le considère comme un « écrivain sérieux et important ».
Alors continuez Monsieur King, continuez à nous faire frémir, nous faire nous interroger sur la frontière parfois si ténue entre le Bien et le Mal, nous faire pleurer parfois quand, sans une once de pitié, vous massacrez notre héros préféré. Continuez, vous et votre famille d’écrivains, à habiter nos nuits blanches. Un grand merci à la tribu King !
Stéphanie Langhade