Marraine du Prix Livrentête depuis de nombreuses années, Sophie Van der Linden, spécialiste de littérature jeunesse, critique littéraire et formatrice, commente le palmarès de l’édition 2020 de ce prix décerné par les lecteurs enfants des Bibliothèques Pour Tous à travers toute la France.
Alors que tant d’écoles, de bibliothèques et de librairies ont été fermées ces derniers mois, d’événements, de salons ou de festivals annulés, c’est un immense plaisir de découvrir les résultats du Prix Livrentête.
Saluons le travail de l’équipe, de tous les enseignants et médiateurs du prix et, surtout, saluons les enfants qui ont participé et rendu possible cette édition.
Laquelle a évidemment un poids particulier dans la période, chacun, petits et grands, ayant pu mesurer à quel point la lecture est essentielle. Au-delà du plaisir que nous avons à lire, elle constitue bien plus qu’un loisir, elle s’est imposée avec évidence comme l’une de nos fonctions vitales.
Le contexte ne doit pas pour autant éclipser la singularité de cette édition qui tient à ses sélections et à ses lauréats.
Une fois encore, ce prix de lecteurs, basés sur des sélections qualitatives élaborées avec soin, nous offre un très bel enseignement des goûts et des intérêts des enfants, dont il est toujours difficile de se faire une idée d’ensemble dès lors qu’ils ne sont, pour la plupart, pas acheteurs.
Ces résultats nous apprennent d’abord que, contrairement à certaines idées, reçues les enfants ne vont pas vers la facilité, même au plus jeune âge. Les lecteurs de 3 ans ont ainsi choisi une histoire qui aborde la question du handicap, avec Trio, l’histoire du chat à trois pattes, dont les teintes sourdes et les traits épais des illustrations rappelant la gravure n’ont pas empêché l’adhésion de ce jeune public.
Le lauréat largement victorieux de la plus importante des catégories en termes de nombre de lecteurs, Le Jardinier de la Nuit, nous confirme à quel point la lecture de l’album repose sur l’image. Non seulement les enfants sont sensibles aux belles images, à leur poésie, mais plus encore, ils élisent un livre aux illustrations qui prennent véritablement en charge une part du récit.
La fameuse ligne claire popularisée par Hergé a encore de beaux jours devant elle. Sa lisibilité, son efficacité narrative continuent de rencontrer l’intérêt de ce public, comme en témoigne le succès de la série Stig & Tilde.
Alors que de nombreux adultes évitent soigneusement les livres risquant de faire peur aux enfants, ces derniers plébiscitent très largement « des livres qui font peur ». Mortina, Les guerriers de glace, Les Croques, Je peux te voir et Dix : pas moins de cinq titres qui témoignent de ce goût, et même de ce plaisir délectable pour les récits qui jouent, d’une manière ou d’une autre, sur ce ressort de la peur. Ces choix convergents sont importants à souligner car on peut constater dans certaines sélections, qu’aux côtés de titres et de grands auteurs, reconnus et salués par la critique, leurs suffrages maintiennent cette constante pour ce genre. C’est que les enfants savent se mettre en quête des ressorts narratifs dont ils ont profondément besoin.
Ces résultats doivent nous encourager plus que jamais à choisir des livres authentiques, de qualité, audacieux dans leurs choix narratifs et esthétiques car on peut faire toute confiance aux enfants pour s’orienter et repérer les lectures dont ils ont profondément besoin.
Sophie Van der Linden
Juillet 2020