Depuis les années 1970, les nouvelles pratiques scolaires ont-elles peu à peu relégué les Fables au rang des souvenirs émus des classes primaires ? Le schéma est un peu caricatural… Car au XXIe siècle, de nouvelles propositions sont apparues, et plus particulièrement en cette année de célébration.
En 2012, l’artiste Sara propose, dans Fables de Jean de La Fontaine, 24 textes dont certains plus rarement illustrés. Par double page, le texte, en typographie discrète mais lisible, s’intègre à l’illustration en pleine page. Son remarquable travail en papiers découpés structure des mises en scène originales dans l’espace généreux de l’album. En couleurs sourdes, sur lesquelles un détail plus vif met en relief l’élément central, les décors ruraux intemporels (forêt, clairière, chaumière…) servent de cadre à de saisissants gros plans d’animaux, ou d’arrière-plan quand le débat prend une dimension plus complexe, voire symbolique.
À l’opposé, sous une couverture naïve et souriante qui accentue leur tonalité enfantine, Les Fables de La Fontaine de Sarah Loulendo, publié en 2021, en contient une trentaine selon le rythme classique d’une par page. Le choix de décors urbains contemporains, pour la plupart assez présents, place l’ensemble dans une modernité intemporelle accessible aux enfants. Habillés à la mode actuelle, les animaux sont souriants, avec une petite touche d’expression dans le regard qui renforce l’impression de gentillesse qui ressort de cette interprétation.
Henri Galeron figure parmi les illustrateurs jeunesse qui ont initié le renouveau du genre dans les années 1970-1980. Pour ses Fables choisies et illustrées par Henri Galeron, publié chez Les Grandes Personnes, il opte pour un format oblong et une mise en page régulière dans lequel s’exprime son art de l’hyperréalisme. Dans un souci méticuleux du détail qui rapproche l’image du modèle, son pinceau précis offre un relief fascinant aux plumages et aux fourrures, sans interdire un anthropomorphisme dont il joue peu néanmoins. Petites vignettes, images en pleine ou demi-page multiplient les angles de vues saisissants. Son interprétation, pour être harmonieuse et séduisante, n’en reste pas moins marquée de classicisme.
« Last, but not least »... Quentin Blake, le plus français des illustrateurs anglais… En grand amoureux de la France et de ses auteurs classiques, rien d’étonnant à ce qu’il se soit intéressé à La Fontaine. Dans la préface de son recueil, Les Fables de La Fontaine illustrées par Quentin Blake, il explique la genèse de son recueil paru au printemps 2021 aux éditions Les Arènes. Considérant les Fables comme un ensemble de textes destinés aux puissants — dont certaines peuvent être à la portée des enfants — , il revient aux sources du XVIIe, et mélange allègrement fables connues et moins connues, faciles d’accès ou plus ardues, à saisir dans l’atmosphère du siècle de leur publication. Volontairement brouillé et incisif à la fois, son graphisme évoque celui des peintures de Gustave Moreau, tandis qu’il choisit de suspendre le temps de la narration à son instant le plus percutant, tel le fromage en apesanteur entre le bec du corbeau bouffi d’orgueil et la gueule du renard narquois. Pour compléter le plaisir qu’apporte ce recueil de qualité, un CD où la diction de Denys Podalydès, d’un phrasé impeccable, rappelle la portée universelle des Fables.
Car dire les Fables, n’est-ce pas une autre manière de les interpréter en nuances colorées et multiples ? Exercice auquel de nombreux artistes se sont prêtés au fil du temps, à l’instar de Fabrice Lucchini qui, dans son style théâtral ponctué d’apartés, en a réjoui le public dans des posts sur Youtube durant le premier confinement de 2020.
Au fil du temps, ces nombreuses interprétations en images ont composé une galerie d’art magnifique, alors que d’autres chefs d’œuvre sont encore à venir peut-être…
Moralité : « Lorsque je lis un manuscrit à la recherche d’illustrations qui soient appropriées, je suis à l’affut de ce que j’appelle des « moments ». Dans les Fables de La Fontaine, un moment merveilleux vous est offert à la fin de chacune d’elle. Quoi de plus formidable ? »
Cette citation, empruntée à Quentin Blake dans la préface de son livre, n’est-elle pas l’une des clefs de la pérennité d’un auteur qui, il y a 400 ans, a su trouver les mots et les traits humains qui parlent au-delà du temps, et que tant d’artistes se sont attachés depuis à faire vivre par leurs images ?
Muriel Tiberghien
Sara : Fables de La Fontaine, Le Genévrier 2012
Sarah Loulendo : Les Fables de La Fontaine, Magnard, 2020
Henri Galeron : Fables choisies et illustrées par Henri Galeron, Les Grandes Personnes, 2021
Quentin Blake : Les Fables de La Fontaine illustrées par Quentin Blake, Les Arènes, 2021