Dans La Nuit du Chasseur, unique film américain (1955) réalisé par le comédien britannique Charles Laughton (1899- 1962), Rachel Cooper est la vieille femme à la carabine qui recueille les deux enfants poursuivis par le monstrueux prédicateur interprété par Robert Mitchum. Calme et fragile dans son rocking-chair, vêtue de blanc, elle tient tête jusqu’au bout de la nuit au tueur en noir, massif, qui la guette depuis la barrière du jardin.
Christine Jeanney dresse un portrait littéraire recomposé à sa manière de ce film étrange devenu culte. Elle distille la narration du scénario tout au long de son texte, la reprenant, la modifiant, la complétant. Elle y mêle des anecdotes de tournage, d’autres concernant Mitchum, Laughton et… Marguerite Duras qui s’était aussi essayée à l’analyse de cette œuvre. Les points de vue que Christine Jeanney projette sont nombreux ; ils ne se limitent pas aux thèmes du film, ou à la représentation qui y est faite de la misère sociale après la crise de 1929, et forment un patchwork où se glissent des digressions poétiques, politiques et féministes. Elle suit le fil sinueux qui la conduit jusqu’au duo chanté au cœur de la nuit par le Chasseur et Rachel, deux voix à l’unisson : les notes et les paroles sont les mêmes, les intentions sont diamétralement opposées. La mise en page du texte, les intercalaires illustrées comme des cartons du cinéma muet, animent cette chronique de film très personnelle, érudite et attachante. (T.R. et M.T.D.)