Dans un pays méditerranéen indéterminé, un déserteur anonyme fuit la guerre, rencontre sur sa route une autre fugitive accompagnée d’un âne. Peut-il tuer encore ? En définitive il épargne cette autre victime d’un conflit meurtrier. Le 10 septembre 2001, à bord d’un paquebot de croisière, près de Berlin, l’historienne Irina, fille de Paul Heudeber rescapé de Buchenwald, mathématicien de la RDA, communiste « jusqu’à la déraison », s’apprête à rendre hommage à l’œuvre de son père, disparu dans des conditions mystérieuses…
Mathias Enard, dont on connaît l’intérêt pour l’histoire et les grands conflits mondiaux (Prendre refuge, Les Notes août 2021), construit son roman sur deux récits alternés, l’évocation haletante de la désertion d’un soldat dans une nature sublime et la narration à la première personne d’une femme qui, en 2022, revient sur la résistance de ses parents face à l’Allemagne nazie. Les monologues intérieurs des deux « évadés », ravagés par la peur et rongés par la violence, donnent lieu à une description quasi hallucinée des horreurs de la guerre. L’historienne médite sur la fonction libératrice des mathématiques et découvre peu à peu le terrible passé de ses parents, unis par la passion et séparés par l’Histoire. Le roman décline, dans une écriture d’une grande liberté, et d’une puissance exceptionnelle où la poésie se mêle à la rigueur, les différentes manières de « déserter » face à la folie des hommes. (A.K. et M.Bo.)