[J] Le chemin des étoiles, de Landis Blair

Quand la nuit tombe, Watson est gagné par la peur. Heureusement, il trouve refuge sous sa couette où se niche un monde réconfortant et plein d’aventures.

Du macabre à la terreur nocturne

Depuis les années 2010, l’auteur et illustrateur nord-américain Landis Blair a développé un univers macabre destiné à un public adulte. Après des études d’art, il découvre la poésie grinçante d’Edward Gorey qui reste une de ses influences majeures. Comme son modèle, il a réinventé une atmosphère à base de comptines enfantines à l’humour noir suranné, composé de vignettes en noir et blanc. Au moyen de crayons à papier et d’encre noire, il affine son style graphique à base de hachures croisées qu’il adapte pour sculpter ombres et textures. Il s’est notamment distingué en illustrant le roman graphique L’accident de chasse (2020) de David Carson (Fauve d’Or – Prix du meilleur album du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême 2021).

Le chemin des étoiles (The Night Tent, en anglais) constitue donc une œuvre à part dans la bibliographie de l’auteur. Le noir macabre laisse place à la terreur enfantine pour laquelle Landis Blair a puisé dans ses propres souvenirs (il s’est inspiré de sa chambre d’enfant pour dessiner celle de Watson). De même, le noir et blanc est mis de côté au profit d’une palette de couleurs plus large (bleu et violet dominent). Toutefois, si l’ambiance de l’album est sécurisante, l’auteur n’a pas résisté à glisser une illustration des Enfants fichus d’Edward Gorey dans la chambre du petit Watson. Une insertion qui prend sens à mesure que l’on découvre la peur qui envahit Watson, les yeux écarquillés face à des monstres aux multiples tentacules. Ses pensées sont parasitées par ce qui se cache dans le placard et sous le lit. Comment échapper à ces menaces terriblement angoissantes, prêtes à l’engloutir, à anéantir son sommeil ?

Une ascension sous la couette

Les hachures et la couleur forment des filiations revendiquées, empruntant aux albums de Maurice Sendak et à Il y a un cauchemar dans mon placard de Mercer Mayer (1968) dans lequel le héros décide de dépasser ses peurs.

Dans les trois premières pages, le découpage serré rend compte de la peur paralysante de Watson. Puis, une fois que ce dernier glisse sous la couette, l’illustration s’épanouit sur la double page, à l’instar du monde imaginaire qui, dans Max et les Maximonstres de Maurice Sendak, gagne la surface de la chambre de Max et les pages de l’album. L’envers de la couette s’étale sous la forme d’un « chapiteau-ciel » parsemé d’étoiles et soutenu par de multiples poteaux. De même, l’alliance du bleu avec le violet et le vert renoue avec la douceur chromatique des Cavaliers de la lune (1959), autre album de Sendak.

Au fil des pages, Watson se laisse guider par les étoiles et se lie d’amitié avec des monstres bienveillants. Comme Mickey dans Cuisine de nuit (M. Sendak, 1970), il voyage au pays de la nuit puis s’achemine doucement vers le sommeil. Son parcours s’accompagne ponctuellement d’une pastille humoristique affichant un Watson de plus en plus ensommeillé, soutenue par le leitmotiv « Et comme Watson n’avait pas sommeil… ». Enfin, des sentiers sinueux aux trains des montagnes russes de ce monde merveilleux, l’enfant gagne le sommet d’une immense tour d’où il peut apprécier tout le chemin parcouru.

Le sommeil peut s’installer paisiblement.

Pamela Ellayah
Comité de lecture jeunesse

Landis Blair : Le chemin des étoiles, Kaléidoscope, 2023

Bibliographie

Les Cavaliers de la lune (The Moon Jumpers, 1959), de Janice May Udry et Maurice Sendak. Circonflexe, 1995
Max et les Maximonstres (Where the Wild Things Are, 1963), de Maurice Sendak. L’école des loisirs 1973 et 2015
Les enfants fichus (The Gashlycrumb Tinies, 1963), d’Edward Gorey. Le Tripode, 2014
Il y a un cauchemar dans mon placard (There’s a Nightmare in My Closet, 1968), de Mercer Mayer. Gallimard Jeunesse, 1982 et 2021
Cuisine de nuit (In the Night Kitchen, 1970), de Maurice Sendak. L’école des loisirs, 1972 et 2015