[A] Franz Kafka ne veut pas mourir, de Laurent Seksik

Franz Kafka est une icÎne de la littérature. Mais faire de sa vie tant de fois commentée et de celle de ses proches un roman passionnant et pathétique autant que vivant est une gageure encore une fois réussie de Laurent Seksik.

NĂ© Ă  Nice en 1962, Laurent Seksik est un mĂ©decin et un Ă©crivain français. Il a Ă©crit des romans, mais est aussi dramaturge et auteur de Bandes DessinĂ©es. L’un de ses livres, centrĂ© sur la figure paternelle, est une autobiographie. Un fils obĂ©issant raconte que son pĂšre le voulait Ă©crivain, sa mĂšre l’envisageait docteur. Il embrasse la mĂ©decine en ne rĂȘvant que d’écriture


Laurent Seksik excelle dans l’art des biographies romancĂ©es. AprĂšs Les Derniers Jours de Stefan Sweig et Romain Gary s’en va-t-en guerre, entre autres, celle-ci, consacrĂ©e Ă  l’un des Ă©crivains les plus talentueux de la littĂ©rature allemande moderne, donne envie de relire Le ChĂąteau.

Kafka

Franz Kafka, en 1923

NĂ© en 1883 Ă  Prague dans une famille bourgeoise juive, Franz Kafka se destine Ă  Ă©crire. Mais il contracte la tuberculose pendant la guerre. SoignĂ© dans divers hĂŽpitaux et sanatoriums, il rencontre Robert Klopstock, Ă©tudiant en mĂ©decine qui devient son ami. La grippe espagnole et l’hiver rigoureux de 1923 Ă  Berlin avec sa compagne Dora aggravent tragiquement son Ă©tat. Il supplie son ami d’abrĂ©ger ses souffrances et dĂ©cĂšde en 1924. Ottla, sa sƓur prĂ©fĂ©rĂ©e, ses parents, ses proches (dont Max Brod et Robert) ne se remettront jamais de sa mort, d’autant que tous, pour la plupart juifs, sont pris dans la tourmente du nazisme et de la DeuxiĂšme Guerre mondiale.

Les derniers instants de Franz Kafka (extrait de la page 85) :

 Â« Vous trichez, vous m’avez dĂ©livrĂ© un antidote ! Â» poursuivit Kafka, implorant du regard l’injection d’une nouvelle dose de morphine, avant de lancer, semblant rassembler ses derniĂšres forces dans ces ultimes paroles : « Robert tuez-moi sinon vous ĂȘtes un assassin ! Â»

Discussion entre Brod et Klopstock aprĂšs la mort de Kafka (extrait de la page 171) :

« Ă€ ses yeux devait disparaĂźtre toute trace de crĂ©ation imparfaite, que le temps n’autoriserait pas Ă  corriger, ce temps qui manquait Ă  Franz, comme les forces commençaient Ă  lui manquer Â». « De tout ce que j’ai Ă©crit, seuls les livres : Le Verdict, Le Soutier, La MĂ©tamorphose, La colonie pĂ©nitentiaire, Un mĂ©decin de campagne et Le rĂ©cit de la faim sont valables
 Â»

Pour Robert : « J’ai l’impression de trahir son testament, sa mĂ©moire, son amitiĂ©. C’est le tuer une deuxiĂšme fois
 

Pour Brod : « Et brĂ»ler son Ɠuvre, ce n’est pas l’assassiner une deuxiĂšme fois ? Ce n’est pas assurer la victoire des tĂ©nĂšbres sur la vie ? »  il ne s’agit rien de moins que de prĂ©server l’hĂ©ritage d’un gĂ©nie
 Â»

La premiĂšre partie du livre relate la courte vie de Kafka dont Seksik fait un portrait Ă©mouvant. Ultrasensible, le jeune homme se heurte Ă  l’intransigeance de son pĂšre et est hantĂ© par la mort. D’une imagination originale, il est aussi Ă©pris de perfection au point de brĂ»ler les Ɠuvres qui ne le satisfont pas. La seconde partie, aussi dramatique, Ă©voque le destin de ses proches condamnĂ©s Ă  fuir les pays d’Europe centrale ; habitĂ©s par l’écrivain disparu dont Le ProcĂšs, roman prĂ©monitoire, reflĂšte leur calvaire ; car peu survivront Ă  Hitler
 et Staline. Une remarquable Ă©vocation de la crĂ©ation, de la souffrance, de l’amour et de la mort.

L’interrogatoire de Dora Ă  Moscou par un enquĂȘteur de Staline qui l’accuse de trahir le rĂ©gime (extrait de la page 265) :

Pour dĂ©fendre l’idĂ©e que Kafka n’est pas un Ă©crivain bourgeois, Dora cite des passages du ProcĂšs : Joseph K (l’accusĂ©) ignore la nature du crime dont on l’accuse. Il est face Ă  une organisation d’inspecteurs vĂ©naux, de juges d’instruction stupides dont il ne comprend pas l’action ni les motivations. Un aumĂŽnier lui dit par exemple : « On n’est pas obligĂ© de croire que tout est vrai, il suffit qu’on le tienne pour nĂ©cessaire Â».

« Splendide ! Â» s’extasia Iouri (l’enquĂȘteur). Et il songea Ă  la phrase du vaillant et vertueux procureur Vychinski : « Donnez-moi un homme, je vous trouverai un crime. Â»

L’auteur donne la parole en de courts chapitres datĂ©s Ă  tous ceux qui l’ont entourĂ© et aimĂ© et Robert Klopstock est le lien entre tous ces personnages. Il aura Ă©tĂ© l’ami, le confident et le mĂ©decin d’un homme dont la sensibilitĂ© et l’intelligence marqueront de façon dĂ©finitive sa propre pensĂ©e. Sa rencontre avec Kafka lorsqu’il avait une vingtaine d’annĂ©es jusqu’à sa retraite de professeur de mĂ©decine spĂ©cialiste du traitement chirurgical des lĂ©sions thoraciques dĂ©terminera toute sa vie.    

Laurence Guiral et Line du Chayla, lectrices du comité adultes
Mars 2023

Bibliographie

(* Cliquez sur le titre pour retrouver la critique des Notes)

Laurent Seksik, Franz Kafka ne veut pas mourir, Gallimard, collection Blanche, janvier 2023