Dans les années 1860, en pleines réformes impériales, la Russie traverse une période d’agitation politique. À Pétersbourg, comme dans quelques bourgades environnantes, des individus peu scrupuleux profitent du désarroi de l’aristocratie traditionnelle pour duper quelques naïfs avec d’alléchantes propositions. Parmi eux, l’escroc Gordanov et l’avide Bodrostina, épouse d’un hobereau véreux. Tous deux tendent d’inextricables filets qui aboutissent au suicide d’une innocente et au meurtre d’un vieillard imprudent. Avec plus de neuf cents pages, de multiples personnages, l’usage déconcertant des noms propres russes, des intrigues aussi interminables qu’alambiquées, ce roman, peu considéré par son auteur lui-même, est cependant un phénomène littéraire d’une grande importance. La qualité de son écriture place Nikolaï Leskov (Hugo Pectoralis ou une volonté de fer, NB janvier 2005) à égalité avec ses contemporains, Dostoïevski, Gogol… Sa description d’une société en proie au doute et minée par des courants politiques contradictoires, le nihilisme, le socialisme naissant, sur fond d’insurrection paysanne, est d’autant plus remarquable qu’elle ne repose que sur le mode distancié de l’ironie. Même dans la caricature, la peinture des moeurs reste subtile. Historiquement, l’ostracisme dont fut victime l’écrivain jusqu’en 2013 dans son propre pays est une passionnante énigme. Cet ouvrage paru en 1870 ne représente rien moins qu’un chaînon manquant dans la littérature russe du XIXe siècle. (A.Lec. et A.-M.D.)
À couteaux tirés
LESKOV Nikolaï