Alpha Abidjan-Gare du Nord

Alpha, l’ébéniste, est seul à Abidjan. Sa femme et son fils, Patience et Badian, sont partis il y a quelques mois pour la France, la gare du Nord à Paris, où se trouve le salon de coiffure de la belle-soeur. Comme il leur était impossible d’obtenir des visas, malgré les papiers du grand-père certifiant sa participation à la dernière guerre aux côtés des Français, ils décidèrent de tenter le voyage proposé par les passeurs. Depuis, plus de nouvelles. N’y tenant plus, pour les retrouver, Alpha vend sa maison et s’entasse dans une vieille Lada avec d’autres candidats au rêve européen. Les kilomètres défilent, accompagnés de leur contingent de poussière, de soleil, de déserts, de pannes, de soif, de barrages où les milices attendent le petit cadeau de rigueur (le calmant). Passage à Bamako, puis halte à Gao. Là, il passe huit mois, pour réunir grâce à divers petits boulots, l’argent nécessaire afin de continuer le périple vers Kidal puis l’Algérie, le Maroc …. Il atteint l’Espagne et la gare du Nord, après un voyage de 18 mois, puis…Ce magnifique roman graphique de presque 130 pages, est le fruit d’une collaboration, d’une osmose même, entre une romancière d’origine africaine et un illustrateur habitué à collaborer avec de grands journaux américains. Pour raconter l’odyssée d’Alpha, ils ont choisi de disposer deux images par page, accompagnées, en dessous de chacune, d’un texte qui raconte, sous forme de constat, les péripéties qui jalonnent  l’itinéraire du héros et des personnes qui l’accompagnent. Comme un journal de bord, l’écrit sait faire partager simplement, avec humour parfois, les horreurs rencontrées. Le choc est d’autant plus fort que les récits se font sans pathos, et sont accompagnés des illustrations de Barroux. Réalisées avec des feutres d’écoliers, à traits rapides et appuyés, comme enfantins, elles sont plutôt conçues pour suggérer que pour montrer. Majoritairement sombres, parfois éclairées de touches de couleurs, elles décrivent une réalité universelle qui semble s’appliquer à tous ces hommes qui tentent de fuir la misère. On ne sort pas indemne de ce bel album si actuel.