Au bord des fleuves qui vont

Lisbonne, mars 2007. M. Antunes est hospitalisé. Pour le médecin, c’est un cancer, pour lui c’est juste une bogue de châtaigne qui, entrée dans son intestin, se dilate douloureusement. Soudain, le glas sonne à l’église proche, un enfant est allongé dans un cercueil ouvert, le médecin a une tache sur sa chaussure, ce n’est pas rassurant ! Il saisit quelques mots : foie, piqûre, prélèvement. Il divague aussi, voit sa mère prenant sa température en approchant sa joue de la sienne, respire l’odeur des confitures et n’ose pas manger la petite souris en chocolat… À nouveau António Lobo Antunes (Quels sont ces chevaux qui jettent leur ombre sur la mer ?, NB juin 2014) déroute et séduit. Les phrases décousues, sans cesse interrompues traduisent admirablement le flou d’une conscience perturbée par la douleur, la morphine, la peur de la mort. Tout se mélange dans la tête du malade et surgit par bribes : le long fleuve de sa vie, les scènes familiales où les morts redeviennent bien vivants, les faibles espoirs de guérison. Au rythme de tableaux insolites, de répétitions en boucle, lancinantes, l’émotion est constante. La magie opère si l’on se laisse porter par l’écriture de cette oeuvre exceptionnelle. (V.M. et M.-C.A.)