Une famille ordinaire, les Chevreau, une famille banale et tellement fière de l’être que la naissance de leur troisième enfant Barnabé relève du scandale. Tant de normalité appliquée ne peut, en effet, s’accommoder d’un enfant volant qui défie l’universelle loi de la gravité ! D’abord il pose des problèmes pratiques, à ne jamais toucher terre sans être arrimé ou lesté ; ensuite, et surtout, la curiosité qu’il suscite épuise les efforts d’indifférence au qu’en dira-ton de ses père et mère. L’excentricité de leur fils est décidément trop perturbante .Dès lors que faire de lui ? L’École pour enfants non désirés est un échec ; où qu’il passe, on remarque le trop léger bambin ; il faut donc se résigner à « s’en séparer ». Son aventure commence : un tour du monde avec escales de Sidney… à Sidney.
La joyeuse cohorte des « différents ». Les facéties de la nature en ont produit beaucoup que les hommes ont répertoriés pour les isoler ou les exploiter, la norme supportant mal l’exception. La route de Barnabé croise un temps une foire aux monstres aussi drôle qu’émouvante. Rien ne résiste à la fantaisie débridée du romancier : le garçon aux nageoires, la fille qui parle à l’envers, celle qui disparaît en éternuant, etc… Barnabé va de découverte en rencontre, dans un voyage initiatique qui affûte sa débrouillardise et sa générosité. Impossible de s’ennuyer ! Le dénouement est habile : le héros va-t-il céder à la tentation du conformisme, poser pied à terre enfin, le corps ramené à la raison, comme un gaucher contrarié ? La seule norme qui vaille n’est-elle pas la conformité à soi ? Dans nos rêves, sans aucun doute ! Cette ode inconditionnelle à la différence est résolument irréaliste.
L’écriture du roman bénéficie d’une élégante légèreté de ton et de l’humour du dessinateur qui exploite d’un trait amusé la cocasserie des situations. Rien ne pèse dans ce panorama de l’exclusion qui est aussi celui de l’entraide, des retrouvailles et de revirements heureux. Au sens propre comme au figuré, « la vie en l’air », est une riche de son double sens. Les épisodes se succèdent bon train, exploitant et bousculant les conventions du pittoresque aventurier. Car le surréalisme n’est pas loin, avec sa logique absurde : filé comme une métaphore poétique, le handicap de Barnabé impose au récit son tempo, ses arrêts, ses accélérations. Un « tour du monde » pas comme les autres….