Bien fait pour vous !

CLÉMENT Claire, GUILLEREY Aurélie

Blaise en est sûr : personne ne l’aime, ni ses parents, ni son petit-frère, ni Gaspard, son meilleur copain, ni Amandine, son amoureuse ! À situation désespérée solution radicale : dans le cas présent, mieux vaut être mort, vraiment mort, tout à fait mort ; ils auront du chagrin, des regrets, des remords… et ce sera bien fait ! Dans la forêt, il met son plan à exécution ; le voici allongé dans un lit de feuilles d’où seuls émergent son visage rond et ses joues roses, les yeux clos ; imaginant avec une délectation rageuse, les réactions des autres.Qu’un enfant se cache, par jeu, pour jouir incognito du mécontentement ou de l’inquiétude des siens, c’est banal. Ici, la disparition va plus loin, explore une autre frontière : le héros de l’histoire joue à « Je serais mort… ». À lui le beau rôle : pleuré de tous, centre du monde enfin, et ravi de cette position d’acteur spectateur. Rien de macabre dans ce scénario : pas de fascination pour la mort ni d’angoisse ; on reste résolument du côté de la vie. Le « défunt » improvise sa propre oraison funèbre. Il chante ses louanges au rythme des regrets de ceux qui défilent, éplorés, devant sa dépouille supposée. Manière de régler ses comptes avec les griefs quotidiens d’une vie d’enfant. Tout à son rôle, il s’inonde de marques d’affection, de mots de tendresse empruntés, à l’évidence, au vocabulaire familial… qui lui est familier. Imaginer le pire quand on connaît le meilleur procure décidément beaucoup de plaisir ! Voilà une approche tout en nuances des incertitudes du coeur : attentes, craintes, besoin de preuves encore et toujours…Il fallait à cette balade rêvée entre vie et mort une illustration légère. La nature est mise à contribution pour encapuchonner de vert et de noir le visage rebondi et mutin du maître de cérémonie, pour en faire un gisant qui épouse le relief vallonné d’une campagne des quatre saisons où les arbres s’inclinent, endeuillés puis rieurs, où les flocons de neige virevoltent après les feuilles, où l’arc en ciel ramène le soleil… dans cet espace de liberté à vingt coups de pédale de la maison. Démasqué, le héros lui-même, en se relevant, sonne la fin de la partie. La double page donne son ampleur aux images ; les couleurs fuient le réalisme pour mettre en scène ce théâtre imaginaire. Les figurines-personnages imposent, elles aussi, une distance avec la réalité dont elles gomment la gravité avec humour et fantaisie : une maison sens dessus dessous, un lapin et un oiseau dans le cortège funèbre vu à hauteur des pieds des participants etc. De quoi se prendre au jeu sans oublier que c’est du jeu. Bien fait pour nous !(C.B.)