Le cheveu ? La définition minimaliste qu’en donne le Petit Littré, le poil qui recouvre le crâne de l’homme, a de quoi faire sourire. Les cheveux sont bien autre chose que cet attribut protecteur de la peau : longs, courts, rasés, d’origine ou en perruques, ils en disent plus qu’on ne croit sur l’histoire des peuples. La mésaventure biblique de Samson en atteste, la chevelure est signe de puissance. La perruque accompagne de son artifice les fastes de l’Ancien Régime européen ; s’impose ensuite le cheveu court à la Titus crânement porté par le « sans-culotte ». Au féminin, le langage capillaire est celui de la séduction, codifié comme celui des fleurs : qu’on montre sa chevelure ou qu’on la voile, qu’on adopte les poufs extravagants de la Du Barry dits « aux sentiments » ou « à la chancelière », c’est une carte du Tendre qu’on exhibe sur sa tête. En matière de teinte, les certitudes ont la vie dure : le blond l’emporte sur le noir, le roux est absolument honni ; mais Carmen réhabilite le premier à l’opéra, Sonia Rykiel, le second sous les feux de la haute couture… Signe délibéré d’appartenance à un groupe, afro, rasta ou hippie, la coiffure devient affirmation de soi, « rebelle » sinon militante : à la garçonne, peace and love, et autres extravagances moins pacifiques de nos siècles identitaires. Comment rendre compte de la richesse de ce documentaire ? Suivant un parcours chronologique de l’Antiquité à nos jours, les cinq chapitres qui le composent évitent la rigidité de la trame historique par un parti pris thématique transversal insolite. Les titres sont éloquents : « Le cheveu humilié » précède « le cheveu religieux ». Les sous-titres mettent en appétit : que cachent « les caprices du follicule », « le lion et la princesse » ? Au fil du texte, le fil rouge du cheveu rappelle que l’homme est un être de culture bien plus que de nature : la chevelure devenue coiffure a valeur de signe, comme le vêtement, reléguant à l’arrière-plan les contraintes triviales de l’hygiène. Le regard ethnographique est érudit sans aucun pédantisme. Le ton du discours invite à la promenade au pays du cheveu et des folies humaines. Sûre de son succès, l’auteur multiplie les exemples, comme qui raconterait des histoires : celle d’Isabeau de Bavière et de son hennin ridicule, celle de « la raie du pouvoir » à gauche ou à droite. Les planches de l’illustration en blond, roux, châtain, sont aussi drôles qu’astucieuses : les yeux rivés sur une époustouflante perruque comme sur un crâne d’Iroquois, on emmagasine mille connaissances. Ça décoiffe ! Le documentaire ainsi conçu rivalise sans mal avec Internet. (C.B. et A.-M.R.)
Ça décoiffe !
VERCORS Louise, ONNEAU Pierre d'