Pendant le tournage dâun documentaire sur les sans-abri, le narrateur filme la silhouette, puis le visage dâun homme corsetĂ© dans des sacs plastiques. Son pauvre et risible accoutrement rappelle vaguement la tenue dâun Indien dâAmĂ©rique. Cheyenn, quelques mois plus tard, est retrouvĂ© mort sur son lit de fortune, dans la pĂ©nombre dâune filature dĂ©saffectĂ©e. Le cinĂ©aste regrette alors de nâavoir pas su rencontrer le marginal dont il ne reste presque rien, hormis ces quelques secondes dâimages. Il chemine sur les pas de lâerrant, retrouve des traces infimes et mesure, Ă rebours, lâextrĂȘme solitude, la fragilitĂ©, le dĂ©sespoir dâun ĂȘtre qui tentait silencieusement, en sâinventant un personnage, dâexister au regard des autres.
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Ă travers le dĂ©sir du rĂ©alisateur de rendre Ă Cheyenn son identitĂ© et sa part d’humanitĂ© profonde, se dĂ©ploie l’Ă©tendue de nos indiffĂ©rences. Sans ĂȘtre nommĂ©e, la ville traversĂ©e par un fleuve ressemble Ă d’autres grandes villes, oublieuses de leurs friches industrielles, tunnels, dessous d’autoroutes, oĂč survivent des ĂȘtres dĂ©socialisĂ©s, maintenus Ă l’Ă©cart. François Emmanuel, cependant, ne donne pas de leçon. Il sonde avec pudeur (cf. Le vent dans la maison, NB octobre 2004) la misĂšre morale des laissĂ©s-pour-compte et, dans une Ă©criture dĂ©licate et poĂ©tique, offre un court roman poignant.