Cristallisation secrète

Dans une île étrange, des choses disparaissent au fil des ans : ce sont un jour les oiseaux, puis un autre les roses. Les habitants n’en sont guère troublés, car se diluent et s’effacent en eux les sentiments et sensations qui s’y rattachent. Quelques-uns pourtant conservent la mémoire, mais ceux-là sont impitoyablement traqués et emmenés par la milice. Ils quittent alors les pensées de leurs proches ou des voisins. La narratrice, romancière, devine en son éditeur un être dont les souvenirs demeurent intacts. Devant l’imminence du danger, elle le prie de venir se cacher dans sa maison…  Sensible à la mémoire, à l’héritage (La Formule préférée du professeur, NB octobre 2005), Yoko Ogawa tisse de sa plume délicate et subtile une histoire fantastique qui résonne comme une invite à la vigilance : sous l’emprise de la peur, les individus préfèrent le silence et finissent par se désintéresser de leur propre destin, tandis que le bruit des bottes rappelle l’insidieuse mise en place des dictatures. Derrière le ton distancié de ce roman grave et singulier, filtrent l’angoisse et le désenchantement.