Droit du sol

MASSON Charles

Mayotte est une Ăźle de l’OcĂ©an Indien, minuscule territoire français au milieu des Comores (nord-est de Madagascar).

Les “expatriĂ©s” français s’y comportent en privilĂ©giĂ©s, comme des coloniaux Ă  l’ancienne. La population de couleur y vit chichement, dĂ©fendant les quelques acquis que leur confĂšre leur appartenance Ă  la France. Acquis inestimables pour les innombrables Comoriens, dĂ©nuĂ©s de tout, des Ăźles environnantes, qui cherchent Ă  gagner cet Eldorado, Ă  la recherche d’un revenu, de soins mĂ©dicaux, ou de la nationalitĂ© française pour leur bĂ©bĂ© Ă  naĂźtre – en vertu du fameux « droit du sol ». Mais la lutte pour les refouler s’intensifie.

 

 

Cet Ă©pais roman graphique en noir et blanc est un tĂ©moignage Ă  charge d’une force impressionnante. Toute l’habiletĂ© de l’auteur est de ne pas focaliser l’histoire sur le drame de l’immigration clandestine, mais de faire de celui-ci une toile de fond devant laquelle s’agitent quatre personnages, des nantis blancs vivant en milieu clos – une petite Ăźle favorise les rencontres, les conversations, les Ă©tats d’ñmes-, et plus ou moins conscients de la situation sociale. Les dialogues sont d’une rare justesse. Le dessin Ă©galement, d’un rĂ©alisme stylisĂ©, au trait fort et lĂąchĂ©, individualisant clairement les protagonistes et leur donnant une rĂ©elle expressivitĂ© par son utilisation des aplats noirs.

Pendant que ce dĂ©roule sur quatre cent vingts pages ce tableau de moeurs foisonnant et divertissant, presque lĂ©ger, huit doubles planches entrecoupent ça et lĂ  le rĂ©cit de ces vies dĂ©risoires et terriblement humaines, rappelant qu’une barque pleine Ă  craquer de migrants fait route de nuit vers Mayotte. En Ă©pilogue, les trois derniĂšres planches, nocturnes, bouleversent le coeur. Tout l’album n’existe que pour elles.D.O. et X.B.