Mayotte est une île de l’Océan Indien, minuscule territoire français au milieu des Comores (nord-est de Madagascar).
Les “expatriés” français s’y comportent en privilégiés, comme des coloniaux à l’ancienne. La population de couleur y vit chichement, défendant les quelques acquis que leur confère leur appartenance à la France. Acquis inestimables pour les innombrables Comoriens, dénués de tout, des îles environnantes, qui cherchent à gagner cet Eldorado, à la recherche d’un revenu, de soins médicaux, ou de la nationalité française pour leur bébé à naître – en vertu du fameux « droit du sol ». Mais la lutte pour les refouler s’intensifie.
Cet épais roman graphique en noir et blanc est un témoignage à charge d’une force impressionnante. Toute l’habileté de l’auteur est de ne pas focaliser l’histoire sur le drame de l’immigration clandestine, mais de faire de celui-ci une toile de fond devant laquelle s’agitent quatre personnages, des nantis blancs vivant en milieu clos – une petite île favorise les rencontres, les conversations, les états d’âmes-, et plus ou moins conscients de la situation sociale. Les dialogues sont d’une rare justesse. Le dessin également, d’un réalisme stylisé, au trait fort et lâché, individualisant clairement les protagonistes et leur donnant une réelle expressivité par son utilisation des aplats noirs.
Pendant que ce déroule sur quatre cent vingts pages ce tableau de moeurs foisonnant et divertissant, presque léger, huit doubles planches entrecoupent ça et là le récit de ces vies dérisoires et terriblement humaines, rappelant qu’une barque pleine à craquer de migrants fait route de nuit vers Mayotte. En épilogue, les trois dernières planches, nocturnes, bouleversent le coeur. Tout l’album n’existe que pour elles.D.O. et X.B.