À 10 ans, Thomas voyage seul pour la première fois. Ses parents l’envoient passer l’été loin de leurs disputes. Gare de l’Est, à Paris, une grève annule sa correspondance mais sa grand-mère, prévenue, va venir le chercher. Que faire en attendant ? En mangeant ses sandwiches, il observe les rails… qui se séparent et finit par partager son repas avec un clochard philosophe – un certain Victor Hugo. Il découvre en l’écoutant la vie de cet étrange lieu : la GDE où les exclus disparaissent, dans l’indifférence de tous. Gare Des Evaporés !
Dans cette parenthèse immobile, provisoire ou durable, se disent le désarroi de l’un, la solitude de l’autre. Chacun ayant perdu l’aplomb d’une vie qui semblait auparavant sur des rails, l’adulte et l’enfant réfléchissent à voix haute au sens de l’existence.
Cette méditation a déjà commencé pour Thomas, le narrateur, au rythme du train, dans le premier chapitre. Comme un long prologue où « notre héros se demande s’il n’y aurait pas des lignes… », celles des hasards de la vie qui font, par exemple, que le ballon qu’on vient de lancer va casser la vitre. Ah ! Si on avait su… De situation en situation, quelle ligne a-t-on franchie sans s’en apercevoir : quand on est seul, quand on ne s’aime plus ? Ne peut-on jamais recommencer? Du haut de son jeune âge, le héros de Davide Cali « philosophe » sur sa propre vie, soucieux de repérer l’instant anodin mais crucial où celle de ses parents s’est engagée sur la mauvaise voie. Pouvait-il en être autrement ? La réflexion est juste, ancrée dans le réel et l’inquiétude plausible d’un enfant de dix ans. Elle se poursuit dans les trois chapitres qui suivent, soutenue par le dialogue des deux personnages, en mots simples, en images qui explicitent les notions difficiles : ainsi de ces fragiles gouttes d’eau que n’accueille aucune rivière et qui vont « s’évaporer ». La gare elle-même a cette dimension métaphorique : espace des rencontres et des séparations comme des errances anonymes, en parfaite résonnance. Les sujets sont graves mais traités sans mélo : en dépit du lieu, le héros, protégé par l’affection des siens, n’est jamais en danger. Pas de faux happy end cependant. L’épilogue donne des réponses raisonnablement optimistes aux questions posées.
L’illustration de Joëlle Jolivet joue des lignes fortes de la linogravure associées au bleu turquoise des aplats : les rails, bien sûr, mais aussi les fenêtres et portes des compartiments qui enferment les silhouettes noires des protagonistes : elles dessinent les lignes de partage et fixent pour les yeux chaque situation de cette leçon de vie à destination des enfants.