Devenir écrivain, oui, mais quoi écrire ? Proust enfant se posait cette question, Rouaud la reprend à son compte. Mais comment écrire quand on naît dans une famille modeste marquée par les deuils, dans une ville morne d’une région ingrate ? Quand les maîtres à penser clament la mort du roman, que Barthes déconstruit le Texte et célèbre le parler-pour-ne-rien-dire ? Une issue nécessaire : affronter la « réalité rugueuse » ; cependant le jeune Rouaud, héritier triste de sa jeunesse, se décrit inapte au monde, timide (tant que ça ?) et myope. Première esquive, la musique, les chansons, le folk français, les errances, les petits boulots. Un pas en avant avec l’emploi dans un journal local où il finit par écrire (enfin !) la rubrique « régionale et drôle». Et la « montée à Paris », où son premier roman obtient le Goncourt. Une quatrième fois, Rouaud reprend, différemment, son parcours décrit dans les trois tomes de La vie poétique. Il s’analyse, s’interroge, faisant pardonner cet insistant retour sur soi par un ton goguenard. Il digresse, assassine Sartre, Brassens, Barthes, applaudit Breton, dans une syntaxe scrupuleuse, aux longues phrases étudiées. L’époque revit, l’étroitesse provinciale, la jeunesse marginale, les crédos politico-littéraires d’alors… Un voyage en arrière bien préparé. (M.W. et C.R.P.)
Être un écrivain
ROUAUD Jean