Enceinte, recroquevillée contre le mur, elle brode et se défend contre Eux, les « héréditaires », les morts et vivants de la famille. Ils lui parlent, assaillent son ventre, veulent lui voler son bébé à elle, descendante incapable. « Petite Poule, on l’élèvera pour toi, ton oeuf, on sait les choses…» Sa mère pourrait la féliciter, la soutenir? « L’enfant est peut-être débile, il faudra avorter », dit-elle. «Tu t’amochis. Un enfant, c’est un fil à la patte. Le père t’aura abandonnée d’ici la naissance…» Ce père, elle l’aime, ils s’aiment. Il est alpiniste, beau, tendre. Mais dans le courrier qui s’accumule à la porte, elle imagine la lettre annonçant l’accident mortel. Et ne va-t-il pas la tromper ? «Il te trahira, le gros vicelard…» Dans un style rageur, agressif, rythmé, ce journal d’une grossesse névrotique, transpercée de fantasmes, s’entrecoupe des interventions insidieuses ou odieuses des « héréditaires ». Hantises et déceptions font renaître les vieilles douleurs de l’enfance, la perversité de la mère se repaît de la fragilité de la fille enceinte. Claire Castillon (Les Merveilles, NB mars 2012) évoque avec une noirceur convaincante l’anxiété et les doutes, les conseils désobligeants, la pathologie d’une famille presque ordinaire. Pauvre foetus qui grandit dans ce ventre angoissé !
Eux
CASTILLON Claire