Les yeux de Philip, cadre moyen, la quarantaine révolue et replète, sont attirés, dans la cohue qui sort du grand magasin de l’autre côté de la rue, par une paire de ballerines bleu prune. Il ne voit rien d’autre de la jeune femme qui les porte et qu’il va suivre, comme aimanté par on ne sait quelle force, d’escalator en train de banlieue, pour l’aborder peut-être, lui-même ne le sait pas. Philip, le hagard de l’histoire, oiseau de proie égaré, sorti de son nid, a franchi une frontière : le voici hors les murs de son ancienne vie à laquelle le relie son téléphone portable tant que sa batterie fonctionne ! Le voici désocialisé, croisant d’autres marginaux mais aussi la foule de ceux que la modernité aliène sans qu’ils le sachent. Étrange roman où un narrateur raconte l’histoire de ce personnage, comme s’il la découvrait avec nous ou plutôt comme si le parcours qu’il lui fait suivre n’était qu’une option possible de l’écrivain jouant de ses propres incertitudes, s’autorisant, en dépit de la vraisemblance, des digressions qui élargissent le panorama caustique qu’il brosse de notre monde. Beaucoup d’humour servi par une écriture sèche dans un roman déconcertant mais prenant. (C.B. et A.-M.R.)
Hagard
BÄRFUSS Lukas