Elle, câest Jan, nâen dĂ©plaise Ă ceux qui ricanent et lui cherchent noise. Ă onze ans elle a du rĂ©pondant ! Elle dĂ©teste son vrai prĂ©nom : Janis, choisi par son pĂšre Ă cause dâ« une chanteuse morte » qui sâappelait Janis Joplin. Ă lâĂ©cole, trĂšs vite, il a rimĂ© avec pisse ! Ă la maison, la vie nâest pas rose malgrĂ© les beaux souvenirs dâavant le chĂŽmage et lâalcoolisme dans lequel son pĂšre se noie. Le ton monte trĂšs vite le soir quand il rentre du Bar des Amis ; alors elle observe, silencieuse, Arthur, son petit frĂšre serrĂ© contre elle. La vie brinqueballe jusquâĂ ce jour de trop : sa mĂšre, excĂ©dĂ©e, a mis son mari dehors puis est partie elle aussi. Au retour du pĂšre, ivre-mort, Jan prend peur, appelle les pompiers. Et câest lâengrenage : les services sociaux sâen mĂȘlent  Jan est la narratrice dâune douloureuse chronique familiale, rĂ©aliste et sombre. Loin de nâĂȘtre quâune toile de fond, la misĂšre sociale irrigue le rĂ©cit. Sa peinture sonne juste, sans dramatisation inutile, sans caricature des personnages : le pĂšre nâest pas une brute mais un homme tristement engluĂ© dans son addiction ; le placement, dit provisoire, des enfants laisse les deux parents dĂ©semparĂ©s, coupables sans le savoir dâun manquement dont ils ont honte. La romanciĂšre qui dĂ©ploie cette situation pathĂ©tique le fait avec retenue. Elle respecte ses personnages, profondĂ©ment. Son hĂ©roĂŻne raconte sa vie avec une luciditĂ© Ă©tonnante, une spontanĂ©itĂ© dĂ©sarmante. Courageuse, dĂ©terminĂ©e, elle a le charme de ses modĂšles, Fifi Brindacier et, plus directement, Antoine Doinel, le hĂ©ros des Quatre cents coups auquel elle sâidentifie parce quâelle a vu le film de Truffaut au collĂšge. Un fil rouge dans la conduite de lâintrigue, jusquâau dĂ©nouement ouvert du roman : les fugueurs, eux aussi, vont voir la merâŠÂ Car ce roman est Ă©galement un roman dâaventure : les pĂ©ripĂ©ties de la fugue des enfants en trottinette ( !) allĂšgent la peinture sociale. Vraisemblable ? Non, mais quâimporte ! Cette cavale dâenfant, mĂȘme rĂȘvĂ©e, servira dâexutoire Ă ceux que la vie enferme dans un « provisoire » qui dure ; la derniĂšre page, magnifique, aide Ă croire en lâavenir. Pour tous les lecteurs, suspens et Ă©motion garantis. Quant Ă lâĂ©criture, passĂ©e la surprise des premiĂšres lignes, on est happĂ© par la drĂŽlerie, la verdeur, lâinventivitĂ© dâune prose qui Ă©vite le pittoresque convenu des « propos dâenfants ». Tout sonne juste ! La langue dit un rapport aux autres : marqueur de milieu social, elle rĂ©vĂšle aussi lâimagination et lâintelligence vive dâune enfant qui absorbe et dĂ©forme le discours des adultes car elle boit le monde comme elle peut, Ă partir des mots quâelle entend. Un vrai plaisir, un beau travail dâĂ©crivain ! (E.H. et C.B.)
Jan
DESMARTEAU Claudine