Kayro Jacobi, juste avant l’oubli

Juif enraciné en Égypte de longue date, producteur adulé de films, Kayro est un fonceur de trente-cinq ans aussi truculent que généreux, excessif et jouisseur. Quand Nasser succède à Neguib, apparaissent des critiques voilées stigmatisant les films pervers de cinéastes « étrangers », tandis que progressivement se met en place une censure sournoise entravant l’activité de Kayro. Simultanément, ses deux soeurs, admiratrices de Staline, sont emprisonnées, sa femme accouche d’un fils mort-né et une aventure amoureuse avec sa secrétaire se termine mal. Quand il est spolié de son entreprise, il voit rouge et, en voulant récupérer sa cinémathèque personnelle, au terme d’une course hallucinante, il précipite sa Chevrolet dans le Nil.

Paula Jacques délivre une nouvelle preuve (Rachel-Rose et l’officier arabe, NB mars 2006) de son remarquable talent d’écrivain. Elle imprime à son récit un rythme endiablé dans un style syncopé où les aventures tragi-comiques se fondent inextricablement dans le flux tumultueux des événements. L’intérêt ne faiblit pas un instant grâce à une construction mettant en scène alternativement les différents protagonistes. Paula Jacques avait neuf ans quand elle fut expulsée d’Égypte en 1958. Elle ressuscite le climat de xénophobie, d’arbitraire et d’antisémitisme prévalant alors. À ce titre aussi ce roman sonne juste.