Au début, Kana’ti, l’homme, et Selu, la femme, entendent leur fils unique parler avec un inconnu qu’ils nomment « l’Enfant sauvage ». 1539 : le conquistador espagnol Hernando de Soto navigue vers la Florida, territoire « offert » par Charles Quint qui l’en a fait marquis. Obsédé par l’or qu’il croit y trouver, il se lance à la conquête de cette terre marécageuse. Mais les indigènes Cherokee ne se laissent pas faire.
David Vann (Le Bleu au-delà, les Notes mai 2020), d’origine cherokee, déroule en alternance l’épopée sanglante du conquistador et le mythe de la création du monde chez ce peuple. Son héros, ivre de puissance, rendu fou par l’or, justifiant son mépris total des indigènes par la mission divine qu’il pense accomplir, est (presque) conforme aux faits historiques connus et permet d’éclairer d’une lumière crue les effets délétères de la colonisation. En parallèle, l’auteur déploie le récit mythique insolite de l’origine du monde selon la tradition cherokee. Son écriture remarquable mêle le récit cruel des exactions sanguinaires du conquistador avec ses dialogues rapides, ses phrases courtes, et les pages poétiques racontant la beauté de la nature et du monde d’ailleurs. Une épopée terrible qui interroge : les croyances des cherokees ont-elles précipité leur perte ? Une double ambiguïté subsiste à l’issue de la lecture : que signifie ce mythe, et explique-t-il le changement d’attitude des cherokees qui s’inclinent devant les conquérants après les avoir sauvagement combattus ? (C.P. et A.Be.)