Tandis que Henri Beyle, alias Stendhal, erre, en 1812, dans les rues désertées de Moscou, le gouverneur Fiodor Rostopchine, qui vient d’incendier la ville, se réjouit d’avoir porté un coup fatal à l’armée de Napoléon. Cinq ans plus tard, le voici contraint de quitter la Russie avec les siens. Sur le chemin de l’exil, sa fille Sophie, future Comtesse de Ségur, narre sur quatorze feuillets leur fuite précipitée. Elle n’emporte en souvenir de son pays qu’un kopek et un coffret en palissandre dont le double fond cache son récit, sans se douter que l’objet passera de main en main et que son manuscrit ne sera révélé au public que deux siècles plus tard.
Emmanuelle Favier (Virginia, Les Notes septembre 2019) raconte la passionnante histoire d’un coffret voyageur qui accompagne sa vie durant la Comtesse de Ségur sans qu’elle divulgue aux siens le trésor littéraire qu’il contient. Le précieux objet connaît le sort des innombrables œuvres d’art spoliées par les nazis et devient l’occasion d’évoquer les épisodes les plus tragiques du XXe siècle. L’écrivaine excelle à dresser des portraits féroces de grands prédateurs, tel Goering, responsable d’une véritable razzia dans les musées de France. La ténacité d’une conservatrice de musée attachée à restituer à leurs propriétaires les œuvres volées guide au XXIe siècle le parcours d’une jeune Mathilde qui s’interroge sur la place à donner au passé. La romancière entraîne le lecteur pendant deux siècles dans une ronde folle qui peut étourdir, de Moscou à la Bretagne en passant entre autres par Dresde et New York. Le lecteur amateur de grande littérature rencontrera avec délectation Marguerite Yourcenar et Virginia Woolf convoquées avec le plus grand naturel. Un roman foisonnant et vibrant servi par une écriture inventive et poétique, souvent envoûtante. (A.K. et A.Be.)