Lâhomme roule de Paris vers le sud, dans une berline volĂ©e, le coffre encombrĂ© dâun lourd colis Ă©nigmatique. Aires dâautoroute, arrĂȘts obligatoires, changement de voiture avant la frontiĂšre espagnole, et toujours ce paquet ballottant. Les souvenirs cahotent aussi⊠Celui du voyage inverse, il y a des dizaines dâannĂ©es, de son pĂšre espagnol fuyant le franquisme, ouvrier Ă©migrĂ© qui ancre sa famille en banlieue parisienne. Le conducteur revoit ce parcours difficile : Ă chaque installation, sa langue maternelle sâhybride, puis sâefface devant la langue des livres, des Ă©tudes, qui signent une implantation dans le monde bourgeois dominant. Ă Cadix, berceau familial, sâarrĂȘte le voyage, on dĂ©pose les fardeauxâŠÂ La place de la langue dans la construction dâun individu est le vĂ©ritable sujet de ce premier roman violent, charnel, Ă lâĂ©criture « coup de poing », aux images obsĂ©dantes. Quand il se parle Ă lui-mĂȘme, le narrateur se dit « tu » : il sâapostrophe, se dĂ©stabilise ; cela rĂ©vĂšle la permanence de la terre espagnole sous ses ongles policĂ©s par lâĂ©ducation française, malgrĂ© lâoubli de sa langue maternelle. Cette dualitĂ© habite lâhomme Ă©cartelĂ©, tourmentĂ©, qui livre dans ce trĂšs court opus aux mĂ©taphores oppressantes la douloureuse, mortifĂšre et culpabilisante recherche de son identitĂ©. (A.C. et C.Bl.)
La Terre sous les ongles
CIVICO Alexandre