Atteint d’une paralysie généralisée qui ne lui laisse que l’usage de sa voix, Tony Judt se livre à des exercices de mémoire systématiques, déroulant ses souvenirs dans l’ordre chronologique ou en vrac : jeune écolier d’origine juive dans le Londres d’après-guerre, il entre à Cambridge en 1966. Il évoque son passage décevant à Normale Sup à Paris, ses séjours d’abord enthousiastes dans un kibboutz, l’université où il enseigne l’histoire, New York dont il apprécie le cosmopolitisme et où il se fixe, son intérêt militant pour la Tchécoslovaquie dont il apprend la langue. En recréant les « segments entrelacés de son passé qu’il n’avait jamais imaginés liés les uns aux autres », l’auteur (Contre le vide moral : restaurons la social-démocratie, NB janvier 2012) les passe au crible de son esprit critique acéré et les replace avec justesse dans leur époque. Ce dernier essai part de l’anecdotique pour nourrir une réflexion personnelle plus large sur l’évolution politique et sociale de notre monde, des années cinquante à nos jours. La plume intelligente et vivante est au diapason de la hauteur de vue, de l’indépendance d’esprit et de l’humour de cet intellectuel disparu trois mois après avoir dicté ce livre.
Le Chalet de la mémoire
JUDT Tony