Le conscrit

« À partir de quel âge un enfant peut-il être torturé ? » La monstruosité de la question ne l’a pas effleuré, il a juste corrigé la faute d’orthographe. À Buenos Aires en ce mois de Juin 1978, le narrateur, appelé à faire son service militaire, est affecté comme chauffeur au service du Dr Mesiano. Sa mission : retrouver au plus vite le médecin dont on attend la réponse, la vie d’une prisonnière et de son bébé sont en jeu. Mais celui-ci assiste à un match de coupe du monde de football. Comble de l’insoutenable, l’auteur utilise une écriture aussi sèche que glaciale. Chapitres et paragraphes sont numérotés selon les réflexions du narrateur qui jamais ne s’interroge sur les atrocités commises et refuse même d’y penser. C’est là toute l’habileté de Martín Kohan : sans jamais citer de noms il dénonce les horreurs de la dictature. Dans Sciences Morales (NB mai 2010), il traitait avec une certaine ironie de la perversion et de la soumission, ici il pose la question de l’adhésion à un système et de la perte de tout sens moral. Talentueux et prenant.