En 1934, le journaliste Chaves (1897/1944), Albert Londres espagnol, célèbre dans les années d’avant-guerre, recueille à Paris le témoignage de Juan Martínez, danseur de flamenco. En 1914, celui-ci est happé, au hasard de ses contrats d’artiste, par les remous de la Grande Guerre. Par un malheureux concours de circonstances, sa tournée prend fin en Russie où il pensait trouver refuge et d’où, après bien des vicissitudes, lui et sa jeune épouse ne réussiront à se sauver qu’en 1922. Étonnant personnage que ce Martinez ! En remarquable observateur il traverse, impavide et impartial, avec une sorte de détachement surprenant, d’immenses événements – la chute du tsar, la révolution bolchevique, l’atroce guerre civile – qu’il raconte au jour le jour. Courageux, avisé, habile à se concilier alternativement les assassins au pouvoir, il cherche avant tout à sauver sa peau sans rien perdre de son humanité. Le récit des éternels chassés-croisés des envahisseurs successifs de la ville de Kiev, Rouges, Blancs, nationalistes ukrainiens, anarchistes, tous égaux dans l’atrocité, pourraient sembler lassants et répétitifs à la longue. Il n’en est rien : les détails, la vivacité du récit à la première personne donnent une authenticité vibrante à cette invraisemblable et terrible épopée vécue par un artiste doublé d’un pragmatique.
Le double jeu de Juan Martínez
CHAVES NOGALES Manuel