Lorsqu’on est un Ursari — un montreur d’ours — et qu’on vit sur l’habitant, faute de faire recette, on ne suscite que défiance. De village en village, il faut partir et partir encore dans la boue de l’hiver. Quand Mica — la voiture — rend l’âme, la vie d’artiste s’embourbe et la famille de Ciprian accepte, moyennant un endettement sans fond, le marché indécent que proposent deux hommes en BMW : le départ pour la France. L’aïeule refuse, l’ours est relâché dans la nature. Bienvenue aux exilés dans l’Eldorado du bidonville francilien ! Sans papiers, roms parmi les roms et autres déshérités, ils ont, pour tout viatique, la mendicité et le vol. Ciprian, le benjamin, mis à contribution, comme ses aînés, découvre au « Lusquenbour » les tables des joueurs d’échec. Fasciné… Comment décrire sans démagogie, sans parti pris simplificateur, la misère et ses dérives insupportables ? L’humour sauve du misérabilisme ou de l’indignation hostile : l’intégration au paysage français passe par la maîtrise des « zeuros », des portillons du métro ou du « aireuhaire » et par la découverte émerveillée (!) de la Tour Eiffel. Comme un Persan à Paris, Ciprian observe ! C’est d’ailleurs la formule magique de son mentor aux échecs : « Obcomréjouga. Observer, comprendre, réfléchir, jouer, et gagner ». Quand le gamin rencontre, à deux pas du Sénat, les joueurs du Luxembourg, le roman bascule avec une joyeuse invraisemblance dans la belle histoire d’une intégration au talent. Le conte de fées prend le relais de la peinture sociale. Va-t-on bouder son plaisir ? Deux habitués du jardin, M. Énorme et Mme Baleine, endossent le rôle de la Providence : truculents et bonhommes, ils donnent un coup de pouce généreux au destin de Ciprian parce qu’ils ont découvert en ce gamin dépenaillé autre chose qu’un petit voleur. Le romancier s’amuse et, pour faire durer le plaisir, ne lésine pas sur le suspense. Portée par un enfant auquel s’identifier, cette histoire tient l’équilibre entre réalisme et merveilleux : sans pathos et sans fard, elle parle aux enfants du sort d’autres enfants qu’ils côtoient tous les jours, sur leur chemin de l’école. Exemplaire, elle n’est pas sans rappeler l’histoire vraie de Fahim, bangladais sans papiers et champion d’échec junior. Dernier clin d’oeil à la réalité ou plutôt à un cliché : les meilleurs joueurs d’échec ne viennent-ils pas d’Europe de l’Est ? Alors, pourquoi pas Ciprian émergeant du quart-monde ! Qu’importe que sa route, un brin manichéenne, croise le pire et le meilleur. Comme dans les contes, le héros incarne, dans le récit émouvant de son aventure, des valeurs positives : déluré, intelligent, attachant, il suscite empathie et admiration. (L.-L.D. et C.B.)
Le fils de l’Ursari
PETIT Xavier-Laurent