Ils viennent toujours au milieu de la nuit. Dmitri Chostakovitch les attend dĂšs le soir, prĂšs de lâascenseur, mallette en main. Il est le plus grand compositeur russe, sa premiĂšre symphonie, Ă©crite Ă vingt ans en 1926, a conquis le monde. Sa musique, pour bourgeois dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s, ne convient plus au Pouvoir, la peur taraude sa vie⊠Et miraculeusement, Le fracas du temps sâabat ailleurs. Il est tolĂ©rĂ©, flattĂ©, mais contraint de composer la musique du peuple, dâapprouver publiquement la propagande soviĂ©tique, de renier Stravinsky, son dieu. La honte le paralyse. AprĂšs Staline, Kroutchev tend les derniers rets. Et Dmitri vieillissant, toujours composant, espĂ©rant la mort, sâinterroge sur sa lĂąchetĂ© et son ironie trop secrĂšte, sur son oeuvre.  Avec une subtilitĂ© Ă©lĂ©gante, Julian Barnes (Quand tout est dĂ©jĂ arrivĂ©, NB avril 2014) Ă©crit comme sâil la vivait lui-mĂȘme une biographie romancĂ©e, Ă©tonnante de comprĂ©hension intime. Il dĂ©taille de lâintĂ©rieur les affres de Chostakovitch pour survivre avec sa famille dans la cacophonie ubuesque du rĂ©gime soviĂ©tique, pour avancer malgrĂ© tout dans son oeuvre, pour renier tout haut ce quâil exprimait au coeur de sa musique. On sent passer le souffle du tragique, vĂ©cu au quotidien par un grand crĂ©ateur. (M.W. et V.A.)
Le fracas du temps
BARNES Julian