Karl a une vingtaine dâannĂ©es quand, aprĂšs le suicide de sa mĂšre, il fuit sa ville natale ; une ville imaginaire dans lâAlbanie communiste des annĂ©es 80. PassionnĂ© par lâapprentissage des langues, il se sent Ă lâĂ©troit dans un univers confinĂ© rĂ©gi par son pĂšre, professeur de marxisme-lĂ©ninisme. AprĂšs la facultĂ© de lettres Ă Tirana oĂč il se mĂȘle de politique, la GrĂšce est la premiĂšre Ă©tape dâune fuite nĂ©cessaire : muni de faux papiers, clandestin sans le sou comme des milliers dâAlbanais, il sera recueilli par une Grecque beaucoup plus ĂągĂ©e que lui avec laquelle il vivra plusieurs annĂ©es dâamour. Puis devenu persona non grata Ă AthĂšnes, il doit fuir Ă nouveau et sâinstalle Ă Boston avec une amie de jeunesse retrouvĂ©e par hasard. AprĂšs vingt-sept annĂ©es sous des « cieux diffĂ©rents », lâenterrement de son pĂšre le rappelle au pays oĂč il est confrontĂ© Ă son frĂšre, viscĂ©ralement attachĂ© Ă lâAlbanie au point dâĂȘtre devenu nationaliste.Gazmend Kapllani sâinspire de son itinĂ©raire personnel qui le vit Ă©migrer comme son hĂ©ros dâAlbanie en GrĂšce, dont il a adoptĂ© la langue pour lâensemble de son oeuvre de romancier imprĂ©gnĂ©e de sociologie. Il revient Ă©galement sur les liens pĂšre-fils, ici entachĂ© dâun sentiment de haine envers celui qui a fait le malheur de son Ă©pouse et a servi de façon Ă©hontĂ© le rĂ©gime totalitaire en place – au point de doter son fils aĂźnĂ© du prĂ©nom de Marx ! Il rĂ©vĂšle Ă travers ce fameux Karl, son alter ego, le dur parcours de migrant, le douloureux prix Ă payer pour accĂ©der Ă la libertĂ©. Tout le roman invite en effet Ă une rĂ©flexion sur la vaste problĂ©matique de lâexil, ainsi que sur lâĂ©migration et lâidentitĂ©, en particulier dans les Balkans oĂč lâhistoire et la gĂ©opolitique sont si complexes. Sans manichĂ©isme, le point de vue opposĂ© du frĂšre restĂ© toute sa vie dans sa ville natale est exprimĂ© en italique Ă la fin de chaque chapitre. Ainsi cette construction nourrit-elle le dĂ©bat central de ce livre profond et sobre, Ă©crit Ă la pointe sĂšche avec des traits dâune ironie mordante qui fait mouche. Un livre-reportage Ă dĂ©couvrir ! (L.K., R.C.G. et C.G.) Â
Le pays des pas perdus
KAPLLANI Gazmend