Le pont sur la Nerotch

Les souvenirs se bousculent dans la tête du narrateur, Juif russe. Son enfance, l’école, les premiers émois, les promenades avec son père médecin qui se meurt aujourd’hui, l’avancée inexorable des troupes allemandes. Les vacances d’un couple moscovite dans une république amie, loin des pressions du Parti, n’apportent pas le sentiment de dépaysement libérateur attendu : la vue du mont Ararat, les visites d’édifices religieux et la judéité du mari ravivent les images des fours crématoires et du génocide arménien, mêlées au récit de la Passion du Christ…  Le précédent livre posthume de Leonid Tsypkin était consacré à Dostoïevski (Un été à Baden-Baden, NB mars 2003). Celui-ci verse dans un pessimisme radical. En sept nouvelles écrites entre 1971 et 1978 – les deux premières très longues – l’auteur donne une vision sombre de l’homo sovieticus, surtout s’il est d’origine juive. Une peur sourde habite chacun. La mort rôde autour des vieilles personnes, les enfants s’en vont, les couples s’aigrissent, le désenchantement règne. L’écriture descriptive et réaliste est assez prenante. La construction sophistiquée – incessant passage de la première à la troisième personne et prolifération d’histoires à tiroirs qui s’emboîtent comme les fameuses poupées russes – mobilise une attention soutenue. (L.K. et A.Le.)