Deux enfants dans un champ, alors que l’orage gronde au loin. Ils ramassent des silex dont ils font collection, après les avoir vernis. Certains, cassés, ont une face noire qui dessine des mondes en miniature, aussi insondables que le ciel nocturne. De retour à la maison, le garçon laisse maladroitement tomber son caillou, qui se brise. L’âme de la maison tremble délicatement, une ombre passe dans le miroir. Il croit avoir rêvé puisque rien ne dérange les siens. Pourtant à nouveau, dans le feuillage d’un arbre au-dehors…
Cette impression d’étrangeté, d’ambiance aux couleurs d’eau verte, ne le quitte pas. Lorsqu’il se réveille le lendemain dans la maison déserte flottent silencieusement trois poissons qui passent d’une pièce à l’autre sans le voir. Réfugié dans sa chambre, le garçon contemple son caillou brisé…
L’atmosphère des paysages du nord, assombris par l’imminence angoissante de l’orage, est palpable à travers les subtiles nuances des encres et le travail au trait. Des scènes, traitées en une gamme étendue de verts rehaussés du rouge des briques de la maison, émane une étonnante impression de silence, tandis que, subrepticement, l’univers familier bascule dans le fantastique. Qui rêve, dans cette étrange maison ? La lueur indirecte d’une lampe, ici ou là, vient éclairer de jaune le clair-obscur qui baigne les pièces de la maison. Elle chasse les peurs, et conduit l’enfant à trouver la solution pour rompre le sortilège dont l’habitation semble prisonnière. En sera-t-elle libérée à jamais ? Si le héros s’éloigne vers une source lumineuse lointaine, la maison — le vrai personnage de l’histoire ? – reste dans l’ombre et l’odeur d’eau croupie.
L’art d’Anne Brouillard se teinte de surréalisme pour distiller une subtile impression de malaise qui grandit au fil des pages, atmosphère angoissante que la fin de l’histoire, comme dans tout bon scenario, ne dissipe pas vraiment.