Le sauvage

ALMOND David, McKean Dave

Le père de Blue Baker vient de mourir. La conseillère pédagogique incite Blue à écrire ce qu’il ressent. Mais à la place de ses émotions, c’est l’histoire d’un enfant sauvage qui prend forme sur le papier, dans une orthographe malhabile, et accompagnée de dessins nerveux, sensuels.

Ce garçon sauvage vit dans un bois proche du village. Obéissant à des pulsions primaires, il tue bêtes et gens pour les dévorer crus et jeter leurs os au fond d’un puits. Par trois fois, le sauvage va entrer en contact avec l’univers réel de Blue, qui s’introduit dans son propre récit. Face à Hopper, le gros dur qui terrorise Blue, il ressent de l’aversion. Quand Blue et sa petite soeur pique-niquent dans le bois, la gentillesse et la joie le font exulter. Le sauvage apprend les mots, s’humanise et parvient à surmonter ses instincts de tueur.

Fascinant travail de thérapie par l’écriture auquel se livre Blue, gamin « doux comme un agneau » qui exprime sa colère refoulée par le truchement d’un personnage imaginaire auquel il parvient à donner une profonde dimension humaine. Le sauvage permet à Blue de se réconcilier avec celui qui l’a « abandonné » et de retrouver une harmonie intérieure. La présence affectueuse et complice de deux femmes, sa mère et la conseillère, lui permet d’aller au bout de son fantasme de vengeance.

Grâce à deux écritures différentes, ciselées, textes et images sont parfaitement imbriqués : les passages cruciaux prennent soudain un rythme proche de celui de la BD, comme pour en renforcer l’intensité au rythme des émotions de Blue. La rupture de style entre la partie narrative et l’expression directe de l’enfant sauvage, mise en évidence par une discrète différence typographique, permet de passer aisément du réel au récit. La violence qui sourd de chacune des images, mêlant encre de Chine et aquarelle sur des camaïeux vert feuillage ou bleu nuit, est contrebalancée par la lumière qui filtre entre les arbres et une tendresse profonde pour le « sauvage », une empathie pour sa souffrance. Une remarquable dualité pour une surprenante approche psychologique des douleurs cachées de l’enfance.